La gestation fut longue, mais l’accouchement est triomphal : sept ans après sa conception, Seven Stones voit enfin le jour, et les aléas de la vie font naître ce premier opéra d’Ondřej Adámek après le deuxième, créé à Munich en juin dernier. Et si d’aucuns font la fine bouche, en se demandant si cette œuvre hors normes est vraiment un opéra, on leur répondre que ce spectacle est un opéra bien plus vivant que quantité de partitions qu’on gratifie aujourd’hui de cette appellation et qui ne font trop souvent que réchauffer de vieilles recettes. Le travail d’Adámek sur la voix et sur la décomposition des syllabes rappelle parfois celui d’un Salvatore Sciarrino, mais ce que Steven Stones a de plus étonnant, et de plus envoûtant pour l’auditeur, c’est que la musique en est infiniment variée, jamais inféodée à un courant ou une école. Cette liberté permet au compositeur de varier les atmosphères autant que le justifie le curieux livret dû à l’Islandais Sjón, surréaliste histoire d’un collectionneur de pierres et de sept des plus belles pièces de sa collection. Tout en préservant sa personnalité, qui repose aussi sur le recours à des instruments bizarres dont il est lui-même le concepteur, Ondřej Adámek s’amuse à pasticher différents styles aisément reconnaissables : le baroque, à mi-chemin entre Bach et Haendel, pour l’épisode du Christ et de la femme adultère (arrachée de justesse à la lapidation) ; tango argentin, forcément, pour l’histoire du poète aveugle de Buenos Aires ; pansori coréen – plutôt que musique japonaise – pour l’anecdote situé à Kyoto, et ainsi de suite.
Ce qui surprend aussi dans ce spectacle, c’est l’absence d’instrumentistes au sens traditionnel du terme : ce sont les membres du chœur qui en jouent eux-mêmes, maniant instruments à cordes ou à percussions tout en chantant. Ce chœur-orchestre est dirigé par le compositeur en personne (invisible) et par Léo Warynski, dont on connaît la grande familiarité avec les musiques de notre temps. La précision implacable exigée de chacun des intervenants a quelque chose de fascinant, et la prestation des chanteurs d’accentus / axe 21 inspire le plus profond respect. Au chœur s’ajoutent quatre solistes, eux aussi assez stupéfiants par la maestria avec laquelle ils déploient une palette d’une incroyable diversité, tout en jouant et dansant leur rôle. Ils doivent eux aussi faire preuve d’une polyvalence rare, et l’on sent bien que la réussite du résultat est le fruit de longues heures de travail en étroite collaboration. La soprano Anne-Emmanuelle Davy danse le tango aussi bien qu’elle narre l’histoire de certaines des sept pierres. Sa consœur Shigeko Hata trouve des accents sauvages pour l’épisode situé dans son propre pays natal. Landy Andriamboavonjy est plus impressionnante encore dans les multiples facettes de la femme du collectionneur, tandis que Nicolas Simeha utilise tous ses registres pour interpréter le mystérieux pétromane (mais pas seulement, puisqu’il prête même sa voix à la femme adultère), qui finit par lancer à la tête de son épouse l’une des pierres de sa collection.
© Festival d’Aix-en-Provence
Ce qui contribue enfin à la réussite de Seven Stones, c’est le travail d’Eric Obersdorff dont la mise en scène confère fluidité et cohérence à la douzaine de tableaux dont se compose le livret. Sur un plateau nu, seulement occupé par les différents instruments utilisés et par un ou deux meubles (on retiendra la spectaculaire arrivée, par le fond de scène, d’un grand portique soutenant des percussions, sur lequel les artistes eux-mêmes sont juchés), les déplacements sont réglés avec une élégance toute chorégraphique. Malgré la grisaille assumée des costumes, le résultat captive et éblouit. Autrement dit, ne manquez sous aucun prétexte Seven Stones lors de son prochain passage par l’Opéra de Rouen. Ni sa diffusion le 10 juillet sur Arte Concert et France Musique.