Dernière représentation du festival Lyrique-en-mer 2013. Dès l’ouverture, les spectateurs sont pris dans les filets d’un délire communicatif. Tandis que les personnages qui qui vont interpréter cet opéra-bouffe sont portraiturés avec humour, à travers divers gags mimés, le petit orchestre de chambre, en excellente forme, vivement et finement conduit par Philip Walsh, s’en donne à cœur joie. La célèbre symphonie de Rossini, inspirée, dit-on, de motifs populaires espagnols chantés par le ténor Garcia, s’accommode d’ailleurs de cet effectif réduit sans rien perdre de son pouvoir entraînant.
Alors que, sur la pointe des pieds, apparaissent un Fiorello habillé en homme du monde et un Almaviva, alias Lindoro, coiffé d’une casquette anglaise et vêtu d’un blouson à carreaux à la mode des années 1930, s’installe, avec la complicité d’un chœur bien chantant et très engagé dans l’action, l’atmosphère ludique voulue. C’est parti pour deux heures et demie d’une musique endiablée et malicieuse, composée de crescendos, decrescendos, d’accords arpégés et de glissandos chromatiques, de reprises, de cellules répétitives qui font parfois du sur-place en vibration — un peu comme le colibri butine ses fleurs préférées.
Sachant mettre à profit la jeunesse et l’enthousiasme des chanteurs pour faire souffler un vent de folie et créer entre les protagonistes une incessante émulation qui rend chaque scène excitante, voire sexy quand la situation le permet, la mise en scène de Richard Cowan se régale des contacts furtifs, apartés, sérénades, échanges de billets, qui abondent dans le livret. Et souvent, pour soutenir théâtralement une musique qui frôle l’égarement collectif, il n’hésite pas à introduire des accessoires surdimensionnés manipulés par des comparses. Exemple : pendant l’extraordinaire sextuor concertant de la fin du premier acte, où le tapage est destiné à attirer la police, traduisant littéralement « Alternando questo e quello pesantissimo martello… Mi par d’esser con la testa in un’orrida fucina… » (Avec ces pesants marteaux, s’abattant l’un après l’autre, il me semble avoir la tête dans une effroyable forge…), Cowan va jusqu’à faire intervenir trois figurants masqués qui tapent en cadence sur la tête des malheureux chanteurs, avec des marteaux en carton de plus en plus énormes. Un peu fort certes, mais diablement efficace car en phase avec le burlesque qui, à partir de ce moment, ne va que s’accentuer jusqu’au dénouement. Autre idée réaliste plutôt amusante : après l’orage, l’arrivée d’Almaviva et de Figaro, en imperméable, mais néanmoins trempés jusqu’aux os… D’autant plus plausible qu’ici les coulisses se trouvent en plein-air, à l’extérieur du bâtiment.
Haute silhouette, voix puissante, le facétieux Figaro du baryton Jonathan Beyer charme par son élocution claire et son talent comique. Après avoir délivré, avec aisance sinon brio absolu, une cavatine encore perfectible durant laquelle il raconte le rythme infernal de ses journées, il sera par la suite un Figaro prometteur, un brin maniéré mais fort aimable. Dans le rôle d’Almaviva, le ténor Thomas Glenn qui a prouvé ses grandes qualités l’avant-veille dans Le Messie de Haendel et la veille en récital dans des mélodies de Richard Strauss, n’est par conséquent pas au mieux de sa forme vocale. Malgré cela, son capital de sympathie et sa technique très sûre vont lui permettre de tirer son épingle du jeu. Le soldat éméché, le faux maître de musique et l’amoureux entreprenant seront bien au rendez-vous. La mezzo-soprano Karin Mushegain, plus espiègle que rouée, plus charmeuse que passionnée, chante Rosine avec grâce malgré un vibrato acceptable car peu envahissant et des vocalises assez imprécises. Elle est heureusement bien aidée par un chef attentif qui sait adroitement la suivre dans les méandres de sa partie. Constituant, avec Ambrogio (curieusement vêtu d’un grand drap et la tête bandée), la domesticité de la maison de Bartolo, la délicieuse Berta de Joanna Wermette réussit fort bien son air très attendu « Il vecchiotto cerca moglie ». Si le Basilio de la basse John-Paul Huckle manque de la pleine maîtrise du crescendo et du syllabisme rossiniens pour donner son plein effet à l’air de la calomnie, la voix est agréable, puissante, et l’acteur très efficace dans son rôle d’entremetteur vénal. Quant au Bartolo, sans cabotinage et très humain, du baryton-basse Tyler Simpson, qui fait ses débuts en France, il se montre tout de suite convaincant dans son air « A un dottor della mia sorte » qui lui vaut d’être chaleureusement applaudi. Notons enfin, la présence d’un seul chanteur français, breton de surcroit, encore en formation, David Pouliquen (Fiorello).
Si on regrette forcément un manque inévitable d’italianité, la qualité de la diction et de l’articulation des interprètes anglophones de ce Barbier de Séville, est remarquable. Avec eux, la galerie de caractères créés par Rossini et Beaumarchais, pour cette indestructible œuvre-charnière, objet de manipulations auxquelles elle a su résister depuis près de deux siècles, n’a pas manqué son but : nous divertir.