C’est l’œuvre inépuisable de Shakespeare, et plus particulièrement ses sonnets, qui sert de fil rouge au programme qu’Anne Sofie von Otter proposait au public bruxellois ce lundi soir. Mais loin de vouloir s’esbaudir sur les sentiers battus, la mezzo suédoise proposait un voyage à travers les genres et les époques, riche en découvertes, audacieux, tour à tour nostalgique, joyeux, mutin, cocasse ou sentimental, avec la complicité de son accompagnateur de toujours, Bernd Forsberg, et d’un jeune violoniste finlandais, familier des musiques d’aujourd’hui et du cross genre, Pekka Kuusisto.
Anne Sofie von Otter © Mats Bäcker
La soirée commence tout en douceur, un peu dans le ton de la confidence et dans une atmosphère de veillée au coin du feu. La mezzo déclame un sonnet puis entame son récital par une ode à la musique, quelle fait suivre d’une mélodie de Haydn avec accompagnement de violon. La voix est chaude et belle, la chanteuse (pantalon noir et tunique à fleurs roses) décontractée et souriante, tout cela s’annonce sous les meilleurs auspices. Le pianiste, lui, est un peu à la traîne, un peu distrait, un peu lourd dans le Schubert qui suit, comme s’il n’adhérait pas totalement au programme. Le violoniste, au contraire, plein d’humour, de fantaisie et de talent, ponctue les mélodies de quelques interventions qu’il semble improviser, avant de s’épanouir pleinement dans les nombreuses pages purement instrumentales du programme, le plus souvent alternées avec les mélodies, où son sens du chant et de l’à-propos fait merveille. Il s’intègre à ce point dans les pages lyriques, dans le style de la chanteuse et dans le sens du récital qu’on se demande s’il joue des transcriptions de lieder ou des partitions originales (elles le sont). Toutes ces interventions instrumentales ont en outre le mérite de reposer la voix, d’introduire une diversité de ton, une autre perspective, comme un deuxième angle de vue sur le discours de la chanteuse ; très heureuse combinaison. C’est particulièrement le cas pour les pages de Korngold et de Sibelius, avant et après la pause, qui constituent le corps du récital. Le corps mais pas le point culminant : après Sibelius viennent trois pièces instrumentales du compositeur suédois Tor Aulin, empreintes d’une grande candeur, un peu envoûtantes et jouées avec gravité, puis Anne Sofie von Otter entame a cappella la chanson du saule (Willow song), folksong de la fin du XVIè siècle. Le pouvoir de la voix lorsqu’elle est seule, menée avec tant de généreuse simplicité et de charme subjugue réellement la salle. Dans un silence absolu et une tension palpable, la chanteuse déroule son texte avec beaucoup de poésie et d’émotion, donnant en même temps au public une magistrale leçon de chant ou tout simplement de musique. Merci madame.
Dans un genre plus léger, elle passe ensuite à Thomas Morley puis à Britten, plein de mystère et délicieusement shakespearien, pour terminer en forme de points de suspension par une chanson ambiguë de l’auteur compositeur canadien Rufus Wainwright, témoignant de l’éclectisme qui règne sur tout le programme.
Et la chanteuse ira encore plus loin dans les bis, pour le plus grand bonheur d’une salle totalement conquise, puisqu’elle terminera la soirée par une chanson de Radiohead, démontrant si besoin était, l’éternelle jeunesse de Shakespeare !