Marie Oppert possède de multiples talents qu’on a rarement l’occasion de voir sur la même scène. Actrice de cinéma et de théâtre (elle est pensionnaire de la Comédie-Française depuis 2022), elle est aussi chanteuse de comédie musicale et chanteuse lyrique. Le format des Lundis musicaux lui offre un écrin rêvé pour jouer de toutes les cordes de son arc – et la jeune femme fait mouche.
Le récital fait judicieusement alterner la musique et les vers de Shakespeare : on entend plusieurs fois La Tempête et bien sûr Roméo et Juliette, Hamlet, La Nuit des rois, Richard III, de vertes insultes tirées d’Henri IV et du Roi Lear, jusqu’au monologue final de Puck dans Le Songe d’une nuit d’été. Le programme musical, lui aussi éclectique (Purcell, Quilter, Cole Porter, Bernstein mais aussi Ivor Gurney, Patrick Doyle et Jonathan Dove), décline les formes de la chanson telle qu’elle apparaît souvent dans les pièces du Barde, jusqu’à des formes plus contemporaines et jazzy. On touche parfois aux limites de l’exercice, quand les changements brusques d’atmosphère semblent peu motivés et que Shakespeare s’efface derrière l’exercice de virtuosité. On espère en sortant, pour voir Marie Oppert proposer une interprétation complète et nuancée d’un personnage, que la Comédie-Française lui confiera bientôt un grand rôle shakespearien.
Encore plus que pour d’indéniables qualités vocales, c’est pour la décharge de talent et de charisme dont elle électrise le public que Marie Oppert marque les esprits. La voix de soprano, légère, est dotée d’un timbre clair très agréable mais elle manque de volume et de nuances, ainsi que d’une vraie ligne pour être une voix pleinement lyrique. Qu’importe : l’actrice crève les planches jusque dans ses maladresses ou excès (quelques sanglots un peu trop appuyés à la fin du monologue de Gertrude décrivant la mort d’Ophélie dans Hamlet). Sans coup férir, elle passe du chant à la déclamation, récite des vers sur de la musique comme des récitatifs et intègre des mots en parlato dans ses chansons, brouillant les frontières entre le jeu et le chant, ce qui est vocalement très exigeant. Elle émaille le récital de quelques sons filés et de mélismes délicats, convoquant parfois des influences américaines dans ses inflexions et dans un vibrato large typique du musical. Elle ouvre sobrement le spectacle a cappella et le referme avec un vrai show, en faisant chanter le public en réponse à ses vocalises. Sa diction fait merveille, sans le moindre accroc, sans les exagérations et cris dont Shakespeare est souvent affublé. Elle chante toute la soirée sans micro, aidée par les dimensions de la salle, même si elle est parfois couverte par l’accordéon de Benoît Urbain. Les pages les plus lyriques lui échappent un peu (Maria en particulier semble un rôle vocalement au-dessus de ses moyens) et on note un charmant accent français qui se maintient toute la soirée. Mais ces quelques réserves ne doivent pas tromper : Marie Oppert proposait ce soir un récital remarquable et surtout prometteur. Les chansons « O Death Rock Me Asleep » et « Willow, willow » ainsi que « So In Love » de Cole Porter sont des moments jouissifs qui lui attirent des applaudissements nourris.
Benoît Urbain accompagne le récital à l’accordéon et au piano et se frotte même avec humour à la déclamation de quelques vers. On l’apprécie surtout à l’accordéon, quand, en homme-orchestre, il dialogue avec sa partenaire et relève ses scènes de quelques bruitages.