Ildebrando d’Arcangelo était annoncé depuis des mois pour le traditionnel Gala de la Saint-Sylvestre à Baden-Baden, mais c’est finalement Erwin Schrott qui le remplace pour ce rendez-vous aimé du public du Festspielhaus. Le programme est en principe très festif, léger et les artistes se laissent aller à toutes sortes de facéties quelquefois mémorables, comme Anna Netrebko, par exemple, qui envoyait valdinguer ses escarpins avant de danser pieds nus sur la scène (quoique, pour l’exemple précité, c’était le Gala de clôture de saison à la mi-juillet, pas celui de la fin de l’année)… S’il est la guest star parachutée en dernière minute, le choix est tout de même parfaitement heureux tant le baryton sait y faire : Erwin Schrott fait une entrée de rock star et salue ingénument le public de la main ainsi que, comme il nous l’expliquera plus tard avant les bis, toute sa famille venue le soutenir (et sans doute apprécier les eaux thermales, comme on les comprend !). Il est accompagné d’un factotum chargé de plusieurs caisses en plastique contenant des piles de photos, pour un air du Catalogue où il déploie tout son savoir-faire d’amuseur public. C’est un Leporello séducteur en diable qui conquiert d’emblée la salle, aux graves très sûrs et à la voix caressante et chaude, n’hésitant pas à glousser ou ronronner, s’appropriant l’air avec décontraction et quelques libertés, mais avec un charme ravageur. Notre baryton en fait des tonnes, bombe le torse et se sait sûr de son pouvoir de fascination… et cela fonctionne à plein. Il enchaîne ensuite avec un « Et toi, Palerme », curieusement donné en français, pas toujours très distinctement prononcé, mais frémissant et puissamment émouvant. Pour finir, il concurrence Julio Iglesias et Nat King Cole réunis avec un « Besame Mucho » bienvenu, où l’on s’aperçoit qu’il possède également des aigus percutants. Il est soutenu par un remarquable joueur de bandonéon, Claudio Constantini, dont on aurait aimé pouvoir profiter davantage de l’étendue des talents mais qui se limite ici avec bonne humeur au rôle de faire-valoir. On apprécie aussi les solistes percussionnistes de l’orchestre de Baden-Baden enfin décontracté et festif. Il faut dire en effet que les musiciens font une assez triste figure et que la direction de Gérard Korsten manque un peu de punch, quitte à être poussive dans l’ouverture d’Otello de Rossini ou celle du Don Pasquale. On découvre également une curiosité, El Salón México de Copland, entre Nino Rota et Ennio Morricone, teintée de folklore mexicain. Le programme, émaillé d’airs amoureux en tous genres, est cependant curieusement heurté et un peu artificiel.
Les autres interprètes sont un peu moins brillants que le baryton uruguayen, mais les airs choisis leur permettent tout de même de tirer les marrons du feu. Angel Blue sait se souvenir qu’elle a été Miss Hollywood : elle est jolie comme un cœur et irradie, quoique son « I Could Have Danced All Night » manque de fougue vocale et ne pétille pas autant qu’on l’aurait souhaité, franchissant à peine la rampe. Cela dit, elle a eu le courage de commencer avec Bellini, ce qui est périlleux (en passant à proximité de l’entrée des artistes, d’ailleurs, les vocalises d’échauffement qui arrivaient de sa loge étaient proprement terrifiantes)… « Qui la voce » lui convient et elle impressionne vivement dans la première partie de l’air où l’on se retrouve au bord des larmes. Quant à Mimi, voilà un rôle qui lui va comme un gant, bien mieux que celui d’Adina dans L’Elisir d’amore. Massimo Giordano, pour sa part, semble en très petite forme, forçant les aigus, les traits tirés et le visage plutôt fermé. Pourquoi tant de sérieux alors que le public est quasi conquis d’avance ? Même son « E lucevan le stelle » confère une sensation de fragilité embarrassante, loin de la belle prestation qu’il avait assurée ici-même dans Manon Lescaut. Cela dit, Puccini lui va très bien au teint : il est un Rodolfo idéal pour la délicate Mimi d’un soir.
Le trio nous offre en rappel un incontournable Brindisi, flûte et bouteille de champagne à la main, les deux chanteurs mimant une dispute autour de la belle, avec avantage, évidemment, à Erwin Schrott, qui se souvient qu’il est un véritable Don Giovanni. Il est aussi merveilleusement crooner, habile à chauffer la salle et à lui faire chanter « Quizás » avec ferveur, se montrant parfait en monsieur Loyal chef de chœurs. Le tout s’achève avec Non ti scordar di me à trois voix, dont les paroles invitent à ne jamais oublier : cela tombe bien, des caméras étaient là pour une retransmission et probablement un DVD qui se regardera sans doute sans déplaisir.