Sur la scène du Grand Théâtre, l’Opéra de Bordeaux recevait Marie-Nicole Lemieux et Joyce El-Khoury pour deux soirées de belcanto autour de Rossini, Donizetti et Bellini.
Le public ayant repris le chemin des salles de concerts, a réservé aux deux cantatrices un accueil des plus chaleureux. Pour donner le ton à cette soirée consacrée au belcanto, quoi de mieux que de démarrer avec l’ouverture de Semiramide de Rossini. À la tête de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, le bouillonnant Roberto Gonzalez-Monjas se déchaîne. Il saute, lance les bras, se tient à la barre, se courbe comme pour une révérence… Il électrise la salle.
Lorsque Marie-Nicole Lemieux, dans une robe et coiffure austères, attaque « Mura Felici » de La donna del lago, l’art du belcanto fait mouche. La virtuosité et l’écriture vocale exigées par l’auteur semblent avoir été imaginées pour la chanteuse mettant en exergue ses graves et sa ligne de chant. Parée d’une élégante robe bleue, Joyce El-Khoury fait à son tour son apparition. Elle s’approprie immédiatement l’air romantique de Mathilde de Guillaume Tell, « Sombre forêt ». Son impressionnante diction ne laisse aucun mot en retrait. Même sur les notes filées dont elle a le secret, le phrasé ne pâlit à aucun moment. Le concert se poursuit avec les deux incontournables extraits de Tancrède, aux étonnantes audaces musicales, l’air « O Patria » et le duo « Serbami ognor si fido ». Sans vouloir comparer, ce duo de virtuosité ayant étét interprété et immortalisé par de prestigieuses cantatrices qui ont marqué l’histoire de l’art lyrique, il manquait à nos deux chanteuses, pour ce morceau de bravoure, « un petit je ne sais quoi de folie ».
Après la première partie du concert consacré à Gioachino Rossini, c’est surtout avec Gaetano Donizetti que l’art du belcanto fait merveille. Joyce El-Khoury transforme l’air de Marie Stuarda en une émouvante leçon de beau chant. Même si dans « Ô mon Fernand » de La Favorite, Marie-Nicole Lemieux ne semble pas très à l’aise, elle module l’air de Dom Sebastien « Sol adoré de ma patrie » avec une grande délicatesse et de belles sonorités.
Le concert se termine avec Norma de Vincenzo Bellini. Après un « Casta diva » cisellé par Joyce El-Khoury, au beau médium et aux sons toujours aussi filés et affirmés, les deux chanteuses se laissent aller à leur fantaisie dans le duo « Mira o Norma » ce qui produit un engagement musical harmonieux et plus convaincant.
Face à l’ovation reçue après ce copieux programme, les deux chanteuses se font plaisir en offrant, en bis, l’incontournable « Duo des chats », page apocryphe qui fait toujours mouche, surtout lorsque Marie-Nicole Lemieux s’en mêle. Mais au lieu de conclure le concert avec cet air amusant et accrocheur,elles reprennent sur la pointe des pieds, en guise de délicat cadeau d’adieu, la première partie du duo de Norma.
Le chef d’orchestre Roberto Gonzalez-Monjas, alors fougueux dans les parties orchestrales se fait discret derrière les deux cantatrices. Il sert ce programme de belcanto dans la plus grande sobriété et efficacité, tout en laissant aux musiciens leurs émotions individuelles s’installaient.
Un regret que la Direction de l’Opéra de Bordeaux n’ait pas mentionné dans le programme un hommage ou dédié cette soirée à Edita Gubrerova, belcantiste disparue tout récemment.