« Sol y sombra » : Béatrice Uria-Monzon provoque avec fougue les incendies des sentiments contrariés et joue avec un égal bonheur de l’ombre des passions. Feux de la séduction pris dans la ténèbre des trahisons, ombre brûlante de fièvres amoureuses consommées et consumées : l’apparent commun dénominateur de ce programme autour de l’Espagne au cœur incandescent, se devait à l’évidence de dépasser l’intention pour convaincre. En effet rien de moins compatibles que les répertoires de Bizet et Granados, avec ceux de Falla et Turina, ou conciliable avec Barbieri et Chapi, Obradors ou Toldra. Les grands sentiments, surtout amoureux ne sauraient y suffire. Seul le talent peut y pourvoir. Et Uria-Monzon possède ce supplément de présence scénique, cette élégance et cette générosité comédienne aussi bien physique que timbrique qui donnent à ses prestations leur véritable dimension : celle d’occuper la scène, de focaliser toute l’attention et de tenir en haleine son auditoire. Aucune note ne lui résiste ! Sa signature vocale ? L’authenticité d’aigus souples jamais tirés, de graves fermes savamment colorés s’abandonnant à une subtile morbidezza sans forcer le trait quand chez beaucoup l’exercice confine à la saturation.
La fougueuse mezzo ne recherche pas l’exploit. Elle privilégie la lisibilité de l’émission toujours maîtrisée, alliée à un sens inné de la théâtralité. Chez elle, le naturel de la posture amoureuse, qu’il revête les séductions de la tendresse ou les fureurs de la jalousie, prend ses distances avec un professionnalisme de pure forme qui occulterait la spontanéité du chant. L’amplitude de la tessiture conjuguée à la générosité du timbre lui confère plasticité et souplesse. Deux dernières qualités qu’elle décline avec une fine intelligence du texte et une imagination du phrasé toujours renouvelé. Chez elle, l’intuition expressive sait se mettre au service d’une substance sonore incomparable. Qu’elle implore, raille, s’emporte ou joue de la séduction, Uria-Monzon reste elle-même, entière et sincère, exclusivement vouée à la profondeur et à la crédibilité du personnage qu’elle incarne.
© Thierry Lindauer
Ainsi chez Bizet, de la cultissime « Habanera » à la non moins fameuse « Chanson bohème », sa Carmen est loin de la vision réductrice de sulfureuse gitane dans laquelle on l’enferme. Canaille certes, mais avec les cambrures orgueilleuses et les richesses d’inflexions qui siéent à une noblesse bohémienne bien trempée. Une aristocratie plébéienne toute en nuances et contrastes dans le médium du registre qui ne perd rien de ses capacités dynamiques. Elle est tout aussi capable de solliciter ces mêmes extrêmes de la tessiture dans la poignante « Maja Dolorosa », qui pleure la mort de son amant, de Granados, jusqu’à lui conférer l’émotion d’un Stabat Mater. Et passer de la sensualité exacerbée de la voluptueuse « Jota », de Falla, aux violences imprécatoires des « Cantares », aux âpres fragrances de cante rondo de Turina ou aux mélismes flamenco des « Coplas de curro dulce », de Obradors, relève d’une belle prouesse stylistique tout autant que technique. Pas plus que la malice et l’humour des zarzuelas de Chapi ou Barbieri ne sauraient prendre en défaut la luminosité de timbre et la richesse de couleurs dont elle est capable.
Il faut dire qu’avec des valeurs sûres comme Jean-Marc Bouget plus que complice au piano, et des archets virtuoses de la classe d’un Jean Ferry au violoncelle et d’un Christophe Guiot au violon, Uria-Monzon jouait aussi sur du velours…