Nouvelle coqueluche du théâtre international, nouvel Ibsen matiné de Beckett, Jon Fosse ne pouvait manquer de susciter les mises en musique. Comme Debussy face à Maeterlinck, les compositeurs d’aujourd’hui apprécient sans doute le dépouillement de son style, qui construit des situations de crise émotionnelle à partir de silence et de phrases simples et répétitives, en trouvant le drame au cœur du quotidien. Plusieurs opéras sont donc nés, inspirés des romans ou pièces de Jon Fosse, qui a trouvé un admirateur en la personne de Georg Friedrich Haas, déjà auteur de Melancholia, commande de l’Opéra de Paris créée en 2008, et de Morgen und Abend (Londres, 2015), sans oublier le récent Nora de la compositrice chinoise Du Wei (Tianin, 2017), la première adaptation lyrique remontant à il y a maintenant près de vingt ans, avec Nokon kjem til å komme de Knut Vaage (Oslo, 2000)
Voilà près de vingt ans aussi que l’on joue en France le théâtre de Jon Fosse : c’est en 1999 que Claude Régy monta pour la première fois une de ses pièces. C’est aussi en 1999 que le dramaturge norvégien écrivit Ein sommars dag, traduite en 2000 sous le titre Un jour en été, et montée en 2002 par Jacques Lassalle. C’est cette pièce de jeunesse, puisque la carrière théâtrale du dramaturge norvégien n’avait démarré qu’en 1994, qu’a choisi d’adapter le compositeur allemand Nikolaus Brass (né en 1949). Et pour un premier essai dans le genre lyrique scénique, le choix n’est pas mauvais : nombre de personnages limité, décor unique, et orchestre restreint (six instrumentistes dirigés par Max Renne). La musique de Brass n’est pas agressive, elle offre aux voix de belles occasions de se déployer, elle autorise les timbres à se superposer, notamment à travers des sortes de vocalises ou d’onomatopées expressives. Manque peut-être à cette partition un dramatisme plus affirmé, notamment dans la première partie, et d’aucuns pourront lui reprocher de ne pas évoquer cette nature dont il est tant question, ce fjord et cet élément liquide face à l’attrait desquels l’amour de la Femme sera impuissant à retenir Asle son conjoint, disparu sur son bateau depuis des années.
Dans ce drame où le souvenir joue un rôle écrasant, où le personnage central vit hanté par le passé, la mise en musique de Brass et la mise en scène d’Eva Maria Weiss n’aident guère le spectateur à se retrouver plus facilement. La pièce se déroule sur deux époques – l’été de la disparition, l’automne du souvenir –, mais le compositeur en a préféré trois (au moins), symbolisées par la Femme non plus à deux âges de sa vie, mais à trois. En effet, si l’Amie qui lui rend visite n’est visible dans l’opéra qu’à un seul âge, la Femme est répartie entre trois interprètes, constamment présentes en scène. Asle, lui, est à la fois chanté par un ténor, mimé par un danseur, et possède une sorte de double vocal baryton (sans oublier l’accordéoniste et le percussionniste, qui portent aussi un costume similaire à lui). Autrement dit, le feuilletage des époques est délibérément brouillé, mais l’on finit par s’y retrouver quand même, et l’obsession de la Femme est traduite de façon assez présente.
© Martin Koos
Vocalement, les rôles ne semblent pas écrasant, même si le plus exigeant est sans doute celui de la Femme jeune, destiné à un soprano colorature (belle prestation de Sarah Aristidou, membre de l’Opéra Studio du Staatsoper), appelé à des envols réguliers dans le suraigu pour révéler son anxiété alors qu’elle vit la disparition de son homme. La Femme âgée (Anne Schuldt) bénéficie de quelques monologues en forme de déploration. Finalement, celle qui a le moins à chanter est la Femme (Olivia Stahn), d’un bout à l’autre occupée à emballer des meubles en vue d’un déménagement qu’elle finira par accepter in extremis. La mezzo Natalia Skrycka, l’Amie, écope d’un rôle avant tout parlé, avec seulement un court passage chanté en duo avec la Femme. Du côté des messieurs, Matthew Peña n’a que peu de temps pour faire exister Asle par sa voix (il revient ensuite en fantôme muet), et Bartosz Araskiewicz doit se contenter durant l’essentiel du spectacle (sauf lorsqu’il interprète le rôle brévissime du mari de l’Amie) d’émettre des sons à l’arrière-plan, en contrepoint de ce qui se chante sur la scène. Si tant est qu’on puisse parler d’une scène, puisque cet ouvrage est donné dans le cadre intimiste du « Neue Werkstatt », dans une salle non destinée au théâtre, où des banquettes ont été disposées contre trois des murs ; cet espace pouvant accueillir peut-être une bonne centaine de spectateurs se prête idéalement aux « petites formes ».