Sacrifier au récital d’airs de Noël relève presque du passage obligé, pour tout chanteur d’opéra ayant acquis une certaine renommée. Avec des résultats divers : il y a ceux qui agrémentent les grands classiques du genre d’une touche de couleur locale, comme Anne Sofie von Otter dans le très réussi « Home for Christmas », ceux qui, comme Roberto Alagna ou Juan Diego Flórez, ajoutent à leurs programmes quelques compositions personnelles, et ceux, comme la très jazzy Renée Fleming, qui goûtent sans arrière-pensées aux délices du cross-over. Pour une soirée versaillaise captée par France Télévisions, Sonya Yoncheva trouve d’emblée, entre toutes ces propositions, un équilibre plutôt heureux. Solennité des lieux oblige, la première partie du concert fait honneur à des œuvres qui ne jurent pas sous la grande voûte de la Chapelle Royale. Un Messie de Haendel était encore donné en ces lieux la veille ; « I Know that my Redeemer Liveth » offre à la soprano bulgare l’occasion d’une entrée en matière à la sobriété recueillie, et rappelle fort à propos que ses premières amours musicales, au tout début de sa carrière, furent baroques. L’opulence capiteuse du timbre, la puissance de la projection l’ont naturellement orientée vers les héroïnes romantiques, mais ce torrent vocal est d’emblée à sa place dans le langage haendelien, comme un grand voyageur retrouve avec plaisir sa terre natale. On change de monde, avec les parfums néo-gothiques du « Repentir » extrait de la Messe solennelle de Sainte-Cécile de Gounod, mais la ferveur de l’interprète reste la même, et c’est avec un lyrisme à peine plus débridé que se termine la première partie, sur deux notes véristes : le rare « Sogno d’or », mélodie écrite par Puccini en 1912 et qu’il reprendra, quelques années plus tard, dans La Rondine, et l’ « Ave Maria » de Cavalleria Rusticana qui sonne, en cette soirée, plus recueilli qu’opératique. Auparavant, le très fameux « Intermezzo » issu de la même œuvre donnait le ton d’une interprétation éloignée de toute emphase, Stefan Plewniak choisissant d’embarquer ses musiciens de de l’Opéra Royal dans une lecture nerveuse, aux tempi vifs, aux nuances ciselées.
Après l’entracte, place à des pièces plus légères, encore que ce soit de nouveau une œuvre d’inspiration religieuse, certes signée par le compositeur de musicals Andrew Lloyd Webber, qui ouvre le bal. Pour ce Pie Jesu faisant dialoguer une soprano et une soprano enfant, Sonya Yoncheva est rejointe sur scène par Isaure Brunner, fille du directeur des lieux, qui montre déjà une maîtrise vocale et une projection prometteuses. On retrouve sans surprise, mais avec plaisir, le « White Christmas » d’Irving Berlin, dans une orchestration quelque peu sirupeuse, et le « Minuit Chrétien » d’Adam, où Yoncheva, en français et en anglais, s’éloigne habilement de toute tentation kitsch, préférant miser sans excès sur les diaprures naturelles de sa voix fauve. Un air du Honduras fait attendre encore un peu l’inévitable « Stille Nacht, heilige Nacht », avant des bis aussi attendus que jubilatoires : « l’Ave Maria » de Schubert, puis un « Petit Papa Noël » d’une candeur qui ferait pâlir Tino Rossi lui-même, avec reprise en chœur du refrain par le public. Incontestablement réussie, la soirée doit autant au charisme naturel de Sonya Yoncheva qu’à l’énergie de son accompagnateur : dès le « Joy to the World » introductif, Stefan Plewniak embarque avec énergie l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra Royal, d’une parfaite intégrité musicale dans « For unto us a child is born », et rappelle, dans un brillant concerto de Corelli en duo avec son premier violon, quel soliste il est. En sortant de la Chapelle, le public a le sourire aux lèvres et ne se sent même pas gavé de sucrerie avant de partir à l’assaut des réveillons : le pari est tenu !
Programme à revoir sur le site de France Télévision