C’est un public relativement clairsemé qui se rassemble au Festspielhaus de Baden-Baden ce dimanche de mai où l’on célèbre par ailleurs la fête des mères en Allemagne. Il règne ce soir une ambiance feutrée et sage quelque peu surprenante dans les halls du vaste établissement d’ordinaire bondés et bourdonnants, voire fébriles. Tout est très calme et recueilli, à l’image d’un programme où l’on découvre des œuvres moins connues de Mozart et Beethoven et un compositeur plutôt rare, Joseph Martin Kraus, né en 1756, quelques mois après le célèbre contemporain qui l’a largement éclipsé et disparu à Stockholm presque un an jour pour jour après Amadeus.
Mozartienne accomplie s’il en est, Sophie Karthäuser, tout en délicatesse et en retenue, nous déploie des trésors de vocalisations agiles subtilement ornementées. En grande forme, la soprano se produit avec un naturel et une générosité qui ne peuvent que susciter l’empathie d’un auditoire captivé et éperdument reconnaissant si l’on en juge le feu nourri des applaudissements. Particulièrement notable, la densité et la puissance de la voix qui porte souverainement dans la salle les éclats de fureur cinglante du « Ah! Perfido » de Beethoven tout comme les lamentations contenues qui sourdent des pianissimi du « Basta, vincesti… Ah non lasciarmi » de Mozart. Vélocité, flexibilité et maîtrise, y compris dans le bas médium, on retrouve les atouts habituels de la chanteuse dont émane une présence rassurante et familière ; tout juste peut-on lui reprocher l’absence d’un petit supplément de passion et un rien de fantaisie qui auraient transcendé la soirée. En l’état, le public est tout de même gratifié d’une émotion diffuse mais bien réelle et surtout, de la belle évidence et de la grâce d’une voix au sommet de ses moyens. René Jacobs, pour sa part, est au diapason tant de son interprète que de son orchestre, l’excellent Helsinki Baroque Orchestra. La Suite de « Dido und Aeneas » avec laquelle il initie la soirée permet de beaux élans tempétueux avec des effets de d’orage qui mettent en valeur des cuivres magnifiques et permettent d’apprécier tout le talent et l’originalité de Kraus. Tout au long du programme, on se délecte du bel équilibre qui ressort de l’ensemble des pupitres, d’une sonorité impeccable et de la brillance des effets obtenus, notamment dans la première symphonie de Beethoven.
Sophie Karthäuser ne nous propose qu’un seul rappel, l’ineffable « Nehmt meinen Dank, ihr holden Gönner! » de Mozart dans lequel elle se confond en remerciements que son public ne peut lui restituer qu’en applaudissements admiratifs et reconnaissants.