Le Chœur de l’Orchestre de Paris fête ce soir ses 40 ans. Pour l’occasion, ils reprennent l’œuvre qui a présidé à leur création et qu’ils ont enregistrée, le très monumental Te Deum de Berlioz. Si l’effectif original n’est pas vraiment respecté (« seulement » 150 enfants au lieu des 600 prévus ; pas de prélude ni de marche finale donc exit les 12 harpes), le public peut tout de même profiter d’une exécution avec environ 500 artistes. Et pour amateur que soit ce chœur, on ne peut lui reprocher de manquer de professionnalisme : si le texte n’est pas très clair (difficile vu l’effectif), la déclamation est vraiment impressionnante, la précision améliorable, notamment dans le Christe, rex gloriae, mais la ligne est fermement tenue. Au point que le malaise d’une des choristes serait passé totalement inaperçu, n’était le bruit de la chute de la partition. Un tel niveau pour une formation qui de plus se réunit rarement est à saluer et à mettre en large partie au crédit de leur chef, Lionel Sow, et des chefs associés pour l’occasion. Mêmes éloges pour le Chœur de jeunes et celui d’enfants, à l’unisson plus commode, mais néanmoins très juste. Dans sa partie soliste Benjamin Bernheim expose une voix de ténor bien timbrée, assez lisse mais projetée avec justesse et qui évite les écueils habituels que sont l’égosillement et l’expréssivité excessive.
Cependant on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine réserve sur l’ensemble. Est-ce l’écriture même de Berlioz, ankylosée par sa conception écrasante de la sacralité ? Sans doute, et l’Orchestre de Paris (pourtant excellent dans la moins excitante mais plus individualisée seconde symphonie de Dutilleux) dirigé par Bertrand de Billy (qui a pourtant construit sa carrière en tant que chef d’opéra) semble lui aussi plus attentif à faire tenir la colossale partition debout qu’à lui donner vie, à y insuffler du drame. Il a vraiment fallu attendre le terrible Judex crederis final pour que toute cette application se convertisse en puissance émotionnelle, du moins à nos oreilles. On est également déçu par l’orgue de la Philharmonie, que nous découvrions pour la première fois, caché par des stores verticaux derrière la barque à tuyaux en fond de salle : il a beau vibrer avec beaucoup de précision et de puissance,au point de faire trembler les balcons-nacelles, enclavé comme il est, le son est très compact et semble manquer d’air, à l’inverse de l’orchestre qui bénéficie d’une acoustique que certains jugent trop réverbérée.
Si ce Te Deum nous laisse sur notre faim, la création de Philippe Hersant nous séduit autrement. Bénéficier de tels effectifs est rare pour un compositeur contemporain, et pourtant il prend le partie de la prière plutôt que de l’hymne (pour reprendre des sous-titres berlioziens) et livre une œuvre simple et néanmoins intense, qui salue clairement les oratorios protestants de Mendelssohn, mais avec une architecture et des lignes très claires, regardant plus vers le romantisme intime de la petite église romane que vers celui des ruines de cathédrale. Dans cette simplicité, les chœurs diffusent une chaleur plus évidente, le poème de Novalis aidant, là où le latin liturgique introduit plus de distance chez Berlioz. C’est une conception différente du sacré qui s’exprime ici, plus immanente mais tout aussi puissante, moins extérieure, moins spectaculaire aussi, et plus brève (douze minutes). Comme à bien des anniversaires, il ne faut pas se fier à la taille du paquet pour juger de la valeur du cadeau.