On a l’habitude de décrire le Stabat Mater de Rossini comme une œuvre plus proche de l’opéra que de la musique sacrée. L’écriture extrêmement exigeante pour les chanteurs, mais aussi les fortissimos de l’orchestre à grands renforts de cuivres donnent en effet une démesure à cet ouvrage, qui pousse les murs des églises pour envahir les salles de concert.
Pourtant cette œuvre a aussi sa grâce et une intimité qu’il ne faut pas négliger. Les chanteurs en sont les principaux garants, et le Théâtre des Champs-Elysées nous a offert ce soir un superbe quatuor vocal.
Le ténor René Barbera affiche dès le « Cujus animam » une santé vocale éblouissante : le timbre est rayonnant, l’émission d’un naturel déconcertant – y compris dans l’aigu –, et il déploie une ligne ample et bien dessinée. Une voix rossinienne dans tout son éclat, mais qui sait aussi se parer de couleurs plus mélancoliques qui conviennent parfaitement au texte qu’il prononce.
Carlo Lepore est l’exact inverse de son collègue avec une voix de basse profonde, sombre, d’une densité sans faille. Présent il y a quelques jours seulement dans ce même théâtre pour interpréter Bartolo dans les Noces de Figaro, il développe ici une autorité des plus éloquentes, notamment dans le « Eja Mater » – une pièce remarquable tout droit sortie de la tradition du chant responsorial, mais que Rossini se plaît à dramatiser.
Côté féminin, la mezzo-soprano Daniela Barcellona n’a peut-être pas une voix éclatante mais elle aborde la partition avec le sérieux et l’intensité attendus, la crainte du jugement dernier transparaissant à chacune de ses interventions en un chant habité et intérieur. L’interprétation de la soprano Maria Agresta bénéficie de la même profondeur, avec une voix parfaitement projetée, au timbre sombre et à l’aigu perçant.
De ces quatre voix solistes remarquables, on doit seulement regretter le déséquilibre dans les ensembles : la soprano et la basse dominent largement le quatuor, écrasant un peu leurs collègues. On les sent également légèrement en difficulté dans le « Quando corpus morietur », a capella et donc extrêmement délicat quant à la justesse ; mais ils accordent une écoute assez attentive les uns aux autres pour pallier les imprécisions.
Le Wiener Singverein est sans aucun doute un chœur de choix pour une telle œuvre : homogénéité du son, précision des consonnes, travail des nuances… Mais ce qui rend la soirée imparfaite est la lecture très littérale proposée par Gustavo Gimeno à la tête de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg. Respectant à la lettre les indications de la partition, mais manquant d’une vision d’ensemble, d’une hauteur de vue. Les contrastes sonnent donc violemment à l’oreille, les silences voulus par Rossini semblent subis et ne trouvent pas de signification. A être trop rigoureux il en a perdu la sincérité de l’œuvre.
C’est le reproche qu’on pourrait faire au chef également dans la Symphonie n°8 de Schubert – la fameuse « Inachevée » – proposée en début de concert et dont le rapprochement avec le Stabat Mater est assez étonnant et pas nécessairement convaincant. Une lecture bien sage, qui nous laisse loin du bouillonnement Romantique.