Elle est suédoise, il vient d’Argentine. Il connaît comme sa poche les brûlants jeunes premiers italiens, elle est acclamée partout pour ses héroïnes de Wagner et de Strauss. Il montre sur scène une véhémence qui se soucie assez peu du bon goût, elle fréquente l’univers feutré du Lied et de la mélodie avec une telle assiduité que d’aucuns lui reprochent parfois une certaine froideur. Mario a beau chanter au début du I les « beautés différentes » de sa Tosca et de la mystérieuse Attavanti, c’est entre les deux amants que le contraste, ce soir, semblait a priori saisissant. Nina Stemme et José Cura, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, forment à l’évidence un couple qui détonne, du moins sur le papier, et la confrontation de ces deux artistes aussi considérables que diamétralement opposés piquait notre curiosité gourmande.
Et pourtant… on s’attendait à une Floria de glace face à un Mario de feu ? Il n’en fut rien ! Déchaînée, Nina Stemme ne subjugue pas seulement le public viennois par la puissance rarement entendue de sa voix, par les couleurs chaudes et les nuances ambrées du timbre, par sa fantastique manière d’alléger, dans les dernières notes de « Vissi d’arte », sa lourde manière vocale pour suspendre l’auditoire au fil d’un pianissimo impalpable. Elle impose un personnage nerveux, fébrile, presque insaisissable et nous rappelle que, tout paradoxal que cela puisse paraître, ce sont souvent de grandes wagnériennes (avant elle Jones, Behrens,…) qui ont fait les Tosca les plus incandescentes.
Et ce serait presque José Cura qui semblerait sur la réserve. Surtout avec une voix de plus en plus sujette à l’engorgement, qui ne lui permet plus de phraser « Recondita Armonia » et « E lucevan le stelle » avec tout le lyrisme dont on rêverait. Les passages les plus élégiaques et les plus émouvants de l’œuvre sont ainsi expédiés, dans un petit allegretto surprenant. Mais quand il s’agit d’être fougueux, ce Mario a encore de la réserve : les aigus tenus de « Vittoria ! Vittoria » ne lui posent pas de problème, et ce personnage au sang invariablement brûlant n’est pas sans séductions.
Face à un tel tandem, Marco Vratogna n’a plus qu’à compter les points. Ce n’est pas que son Scarpia soit foncièrement insuffisant : il a ce mélange de machiavélisme et de vulgarité qui façonne le caractère du chef de la police, et il a la voix du rôle, sombre de timbre mais facile d’aigu. Mais il en donne un portrait assez conventionnel, et ce bloc de méchanceté caricaturale ne parvient pas toujours à exister face au tempérament de ses deux collègues. Il n’en prend pas moins la tête d’une belle distribution, où l’on distinguera aussi le sacristain d’Alfred Sramek, pilier du Staatsoper à la présence toujours remarquée.
Rares sont les opéras où l’on peut voir un musicien de la réputation de Franz Welser-Möst diriger un Puccini. Autant ne pas bouder son plaisir : l’orchestration foisonnante de Tosca mérite bien de temps en temps d’être défendue avec ce sens du relief et des contrastes, cette science des couleurs, cet art de l’architecture propres à ce que l’on appelle un « grand chef ». Grand chef qui a ce soir les défauts de ses qualités : particulièrement démonstratif, l’orchestre de l’Opéra de Vienne couvre les chanteurs à maintes reprises.
On en oublierait presque de mentionner ce qui, ailleurs, concentrerait tous les débats : la mise en scène, comme souvent ici, offre dans un décor classique une direction d’acteur inexistante, mais elle fleure bon l’Histoire. Elle est l’œuvre de l’ancienne ballerine Margarete Wallmann qui s’était pour l’occasion adjoint les services du légendaire Nicola Benois et fut créée en 1957, date où la distribution, dirigée par Karajan, incluait Tebaldi… Alors, face au plaisir rare de goûter un spectacle confectionné par des artistes presque plus vieux que l’œuvre, on se sent quand même au théâtre ! Au théâtre ce soir, bien entendu…