Avec son occurrence annuelle, le cycle Licht de Stockhausen initié par l’ensemble Le Balcon tient un peu de la saga Star Wars. On se rend à la Philharmonie en se posant les mêmes questions qu’à l’entrée d’une salle de cinéma : « Que nous réserve-t-on cette fois-ci ? Comment frapper encore plus fort que la fois passée ? ». La comparaison est d’autant plus pertinente que ce Dienstag aus Licht est placé sous le signe de la guerre aérienne de tous contre tous : projections d’avions en flammes, spatialisation sonore immersive et champs de bataille dévastés arrosés de fumigènes ont tout d’un blockbuster hollywoodien. Mais ce cycle Licht semble souffrir des mêmes travers que les neuf volets de la saga conçue par George Lucas : les « épisodes » ne se valent pas nécessairement tous.
Dans Donnerstag, il y avait les éléments biographiques du premier acte, et le fantastique concerto pour trompette du deuxième pour éblouir l’auditeur. Les rituels de Samstag, et notamment la troisième partie dans l’église lui conféraient une noble stature et avaient le mérite de rompre pour de bon avec l’expérience de concert habituelle. Dienstag semble vouloir se situer entre les deux, sans vraiment convaincre pour autant. Certes, la partie électronique qui ouvre le deuxième acte est assez spectaculaire, surtout lorsqu’elle est diffusée dans une salle qui s’y prête aussi bien. Certes, le Jahreslauf du premier acte amuse par son aspect ludique et séduit grâce à son parfum japonisant. Pour autant, le « Salut » fatigue un peu, sans parler de la « bataille » entre les cuivres, où l’imagination du compositeur semble tourner court. Le duo entre Michael et la Pietà ne convainc pas davantage, et Synthi-fou nous est sympathique, mais plus par sa ressemblance à un muppet que par compréhension profonde de notre part.
La faute n’est certainement pas à rejeter sur les interprètes : Richard Wilberforce et Maxime Pascal se démènent littéralement comme des fauves pour extraire des chœurs et cuivres les sonorités âpres du combat entre Lucifer et Michael. Il convient à ce titre de saluer la performance impeccables du Jeune chœur de Paris et des Elèves du Conservatoire national supérieur de musique.
Elise Chauvin n’intervient que brièvement pour concilier le bien et le mal, mais la force de son timbre la rend tout à fait crédible. En Pietà, Léa Trommenschlager n’a que peu d’occasions de dévoiler son timbre chaleureux, et il en est de même pour Damien Pass en Lucifer, et Hubert Mayer en Michael, que l’on aurait aimé tous deux entendre plus. Acteurs du drame au même titre que les chanteurs, Mathieu Adam (trombone) et Henri Deléger (trompette et bugle) ne déméritent aucunement, et rappellent leur prestation ébouriffante de Donnerstag.
La proposition scénique de Damien Bigourdan et Myrtille Debièvre exploite habilement l’espace de la grande salle de la Philharmonie. Elle a également le mérite de présenter un travail personnel, sans pour autant aller contre les (très nombreuses !) indications laissées par le compositeur. La vidéo efficace de Nieto et les costumes poétiques de Pascale Lavandier complètent ce travail avec pertinence.
Il est toujours regrettable de ne pas adhérer pleinement à une proposition artistique aussi forte. On sait que l’art de Stockhausen se situe toujours à la frontière entre le génial et l’idiot, entre le sublime et le vulgaire. Sans être idiot et vulgaire de bout en bout (bien loin de là), Dienstag ne parvient pas pour autant à se hisser au niveau des deux volets entendus précédemment. Attendons patiemment Montag, annoncé pour novembre 2021 !