Le Chevalier à la rose selon Robert Carsen avait déjà fait l’objet d’une retransmission dans les cinémas lors de sa création in loco au printemps 2017 au cours de laquelle Renée Fleming faisait ses adieux au rôle de la Maréchale. Cette année, ce sont les débuts dans ce rôle de Lise Davidsen, nouvelle star du Met, qui sont probablement à l’origine de cette reprise et de cette nouvelle diffusion dans les salles obscures.
Malheureusement divers incidents techniques ont perturbé la soirée, à commencer par les nombreuses interruptions du son et de l’image au cours de la retransmission. De plus, au premier acte, les chanteurs à peine audibles, étaient couverts par le volume excessif de l’orchestre. Au II, on entendait mieux les voix mais elles étaient doublées par une sorte d’écho particulièrement gênant. Il a fallu attendre le dernier acte pour avoir un équilibre voix/orchestre satisfaisant. D’autre part, lorsque les sous-titres ne défilaient pas trop vite pour qu’on ait le temps les lire, il y manquait une phrase sur deux et après le second entracte, il se sont affichés pendant quelques minutes en portugais, déchaînant l’hilarité des spectateurs.
Nous avons néanmoins apprécié de revoir ce spectacle dans lequel le metteur en scène canadien transpose avec pertinence l’intrigue à l’époque de la création de l’ouvrage. Au premier acte la chambre à coucher monumentale aux parois rouges ornées de tableaux représentant des scènes de batailles et de cour ainsi que les portraits des ancêtres de la Maréchale, évoque la grandeur et la puissance de l’empire austro-hongrois à la veille du premier conflit mondial. Au II, les murs du salon de Faninal sont tapissés de frises représentant des guerriers antiques, au centre de la pièce trônent des canons qui suggèrent que le père de Sophie est un marchand d’armes. Enfin l’acte III se situe dans un lupanar de luxe, peuplé de prostituées en petite tenue et de soldats éméchés. Lors de leur duo final, Octavian et Sophie se vautrent sur un lit dans une chambre dont les parois disparaissent, dévoilant au fond de la scène un champ de bataille avec des militaires tombant sous le feu ennemi.
La distribution, homogène jusque dans les plus petits rôles n’appelle que des éloges et se hisse, du moins sur le plan vocal, au niveau de celle de 2017 qui avait fait l’objet d’une parution en DVD.
Scott Conner est un commissaire autoritaire et viril qui porte beau, c’est d’ailleurs à son bras et non à celui de Faninal que la Maréchale quitte le plateau à la fin de l’opéra. Tony Stevenson incarne un aubergiste travesti en mère maquerelle absolument désopilant. Alexandra LoBianco campe une Marianne solide, quelque peu dépassée par les événements au deuxième acte. Thomas Ebenstein et Katharine Goeldner forment un couple d’intrigants italiens plus vrais que nature et vocalement idoines. Dans un costume blanc immaculé René Barbera s’amuse à jouer au ténor irascible et fat. Son air, remarquablement interprété est ovationné par le public. Brian Mulligan est un Faninal bien chantant et obséquieux à souhait. Erin Morley et Günther Groissböck retrouvent avec bonheur les personnages qu’ils avaient déjà incarnés en 2017. Morley est une exquise Sophie, musicalement accomplie, sur laquelle le temps ne semble pas avoir de prise. Tout à fait convaincante en jeune fille espiègle à peine sortie de l’adolescence, dont elle a conservé la silhouette, ses aigus brillants illuminent la scène de la présentation de la rose. Le Baron Ochs de Groissböck est davantage un prédateur sexuel arrogant qu’un coureur de jupons libidineux, sa chute au troisième acte n’en est que plus savoureuse. Vocalement impressionnant, en dépit d’un registre grave quelque peu restreint, il domine le plateau aux actes II et III en véritable bête de scène. Pour ses débuts dans le rôle au Met, Samantha Hankey a livré un Octavian de haute volée. Son timbre moelleux, l’élégance de sa ligne de chant et son jeu subtil font d’elle l’un des meilleurs chevaliers du moment, d’autant que la cantatrice est parfaitement crédible en jeune adolescent, un peu mal à l’aise lorsqu’il revêt des vêtements féminins. Dommage qu’elle forme sur le plateau un couple aussi improbable avec sa partenaire qui la dépasse de plus d’une tête. La première Maréchale de Lise Davidsen était attendue et n’a pas déçu. La cantatrice norvégienne aborde le rôle avec une voix pleine et chatoyante dont elle contrôle le volume jusqu’au trio final. L’ampleur de ses moyens, perceptible même au cinéma et l’aisance avec laquelle elle assume la tessiture jusqu’au si naturel est un vrai bonheur. Elle campe une Maréchale juvénile, conformément au souhait de Hoffmannsthal, lucide et nostalgique sans pathos. A cet égard, son monologue du premier acte est un modèle d’interprétation sobre et nuancée. Sur le plan théâtral, en revanche, le jeu de la comédienne assez gauche au premier acte est encore perfectible.
A pupitre, Simone Young propose une direction soignée, avec cependant des tempos relâchés au premier acte et une scène de présentation de la rose dépourvue d’éclat.
Le samedi 29 avril prochain, le Metropolitan Opera retransmettra dans les cinémas du réseau Pathé Live, Champion, un opéra de Terence Blanchard avec Ryan Speedo Green.