Un an quasiment jour pour jour après avoir été montée au Théâtre des Champs-Élysées, la production de Die Fledermaus en version de concert est présentée au Festspielhaus de Baden-Baden pour deux représentations dont la première, ce vendredi soir, a rencontré un beau succès. Déjà au TCE, le spectacle avait été ovationné, comme nous le raconte Audrey Bouctot ; à Baden, le public est tout aussi preneur de la vision francophile proposée de ce monument de la culture germanique.
Il faut dire que la mise en espace de Romain Gilbert est tout à fait remarquable, pétillante et virevoltante à souhait. Comme pour Orfeo ed Euridice il y a quelques jours à peine, les versions de concert du Festspielhaus sont en quelque sorte des mises en scène déguisées qui se suffisent largement à elles-mêmes. Tous les chanteurs incarnent leur rôle à la perfection, merveilleusement dirigés par le Français qui sait les placer et les faire se mouvoir comme d’authentiques stars de théâtre. Tous en font des tonnes, mais juste ce qu’il faut pour ne pas sombrer dans le grotesque ou le ridicule. Le chant peut dès lors se déployer aussi librement qu’avantageusement et correspondre à des personnages de chair, un vrai régal pour les spectateurs présents, dont les zygomatiques sont sollicités de la première à la dernière minute d’un spectacle survolté.
De tout ce déploiement d’énergie, c’est Adèle qui est la meneuse la plus brillante. Il faut la voir se trémousser, se prendre dans les câbles avant de les mettre en connexion, illuminant le grand sapin de Noël jusque-là sagement enrubanné par une myriade de Led. C’est à croire qu’elle aurait avalé la guirlande électrique tant la jeune soprano allemande brille et irradie, chantant toujours un peu plus fort que les autres, ne reculant devant aucune vocalise périlleuse mais magistralement envoyée et maîtrisée. Bref, montée sur ressorts, aussi effrontée et adorablement insupportable que son personnage de soubrette qui en connaît un rayon et va se faire sa place au soleil, Alina Wunderlin est partout et se débrouille pour tirer la couverture à soi en toutes circonstances. Épatante et en roue libre, voici une chanteuse qu’on est ravie de découvrir enfin (elle a pourtant pas mal de rôles de colorature à son actif) et qu’on va se faire un plaisir de suivre, en lui souhaitant une longue carrière pleine de peps et de brio. Le timbre est séduisant, les aigus percutants et agiles, la technique sûre dans tous les registres.
À ses côtés, tous tirent leur épingle du jeu et nous offrent de belles prestations, avec en tête un Huw Montague Rendall plus rentier décontracté et séducteur que nature, timbre velouté et lumineux, tessiture homogène et science de l’abattage. Tout juste pourrait-on reprocher au baryton britannique et à son Eisenstein de ne pas adopter plus souvent l’accent viennois, ce qui est d’ailleurs le cas de l’ensemble des protagonistes. Son camarade vengeur Falke est impeccablement servi par le baryton croate Leon Košavić, qui donne à son personnage beaucoup de charisme. Tout aussi épatant, le Frank du baryton Michael Kraus, authentique viennois et inénarrable facétieux. Le ténor Magnus Dietrich n’est pas en reste, qui nous ravit d’aigus percutants une fois sur le devant de la scène, alors qu’il faisait presque pâle figure quand il donnait la sérénade à la maîtresse de maison du fond de la scène. Laquelle est magistralement campée par Iulia Maria Dan, maîtresse femme, un rien fatale et autoritaire, mais tout en nuances et en raffinements. Une bien belle Rosalinde, dont la voix se marie merveilleusement avec celle de ses partenaires. La mezzo ukrainienne Ekaterina Chayka-Rubinstein, très drôle en Orlofsky qui déloge le chef de son pupitre, nous propose cependant un prince blasé un peu trop sage. On aurait bien aimé pouvoir la comparer avec Marina Viotti prévue pour le même rôle dans la seconde distribution.
À la tête des Musiciens du Louvre en grande forme, Marc Minkowski semble prendre beaucoup de plaisir à ce répertoire dont il arrive, avec sa phalange, à restituer toute la subtilité, la sensualité et le brio. Constamment tourné vers les solistes chanteurs, la complicité est totale et le tout se déguste comme un bon champagne. Le chef a cependant le triomphe modeste. À peine arrivé sous un tonnerre d’applaudissements, il commence sans s’attarder ; pour les saluts, il fait s’avancer tout l’orchestre au bord de la rampe (il y a de la place au Festspielhaus) et se place derrière sa formation et les choristes, très en voix. Une bien belle réussite.