Die Frau ohne Schatten aura été particulièrement bien servie cette dernière décennie. Aujourd’hui, quand elle ne nous a pas quitté tragiquement, cette génération de chanteurs cherche à passer le relais, à l’image d’une Nina Stemme, Teinturière une dernière fois à New York la saison prochaine. C’est dans ce contexte que l’Opéra national de Lyon choisit de faire rentrer l’œuvre à son répertoire en ouverture de saison, avec une distribution, qui, si elle n’est pas inconnue, vient faire ses preuves dans cet étrange chef-d’œuvre.
Des nombreux aspects positifs de ce spectacle, ce sont bien les chanteuses et les chanteurs qui remportent principalement nos suffrages. L’ensemble des petits rôles tout d’abord, issus du Lyon Opéra Studio, s’illustre avec brio. On invite les programmateurs à noter le nom de Robert Lewis à qui échoit non seulement le rôle du frère Bossu mais surtout les interventions du Jeune Homme, tendues comme seul Richard Strauss sait en composer pour les ténors. C’est un sans faute où son timbre chatoie en permanence, assis sur une projection confortable. Pete Thanapat (le Manchot) et Pawel Trojak (le Borgne) disposent du talent nécessaire pour le rejoindre et former un trio équilibré, jamais pris en défaut ou inaudible, comme cela arrive parfois. Giulia Scopelliti s’attèle aussi à deux rôles : celui du Faucon dont elle rend les plaintes mécaniques lancinantes et celui du Gardien du temple où elle trouve des accents enjôleurs tout à propos. Julian Orlishausen impose quant à lui un Messager marmoréen.
Les deux couples principaux méritent les honneurs des plus grandes scènes. Certes, Sara Jakubiak simplifie quelque peu les acrobaties de son entrée et reste en retrait pendant la première moitié du spectacle. Ce n’est que pour mieux incarner un troisième acte brulant, dont elle déjoue les sauts d’octaves, comme si l’humanité, la tessiture plus centrale du personnage alors lui convenaient davantage que les éthers initiaux. La robustesse de Vincent Wolfsteiner se confirme une fois plus. Si l’on a connu des Empereurs plus langoureux, on reste pantois devant l’adéquation des moyens avec ce rôle dont la brièveté n’a d’égale que la complexité. Ambur Braid prend la relève haut la main des grandes Teinturières. Non seulement sa présence scénique au jeu simple et réaliste magnétise le plateau mais surtout la technique au cordeau, la puissance et le timbre lui permettent de mettre en lumière toutes les facettes du personnage. Barak, personnage pivot de l’opéra, se veut aussi le rôle le plus complexe notamment pour son versant théâtral. Josef Wagner l’aborde avec des moyens parvenus à leur pleine maturité. Il dispose en outre de ces couleurs chaleureuses si propices à faire naitre l’humanité du personnage. Lindsay Ammann enfin s’avère la meilleure Nourrice entendue sur le circuit actuel. On pourrait ne donner que l’exemple de son final du deuxième acte, jubilatoire et dont la dernière note est tenue au-delà du raisonnable malgré le déluge (de décibels) qui s’abat sur la scène mais ce serait passer sous silence toutes les fourberies vocales qu’elle sait colorer avec une justesse démoniaque.
A la tête de l’orchestre, Daniele Rustioni livre une lecture rapide, mais pas toujours tendue, où il s’affaire à rendre lisible les lignes force de l’œuvre. Certes, l’étroitesse de la fosse oblige une réduction orchestrale qui nuit au relief global de l’orchestre et aux couleurs de certains pupitres en particulier. Pour autant, les ambiances et l’esprit du conte irriguent la narration à chaque instant.
Mariusz Trelinski, enfin, propose une mise en scène à la scénographie soignée et aux lumières léchées. C’est en somme une version assagie de celle de son compatriote polonais vue à Munich, la surcharge de référence en moins, la lisibilité en plus peut-être. Le décor sur tournette permet d’opposer comme des miroirs les deux mondes. Comme souvent, l’étrangeté du conte peine à faire sens face au monde du travail des teinturiers, que l’on voit ici plutôt blanchisseurs. Les scènes domestiques entre Barak et sa femme s’avèrent les plus justes dans leur description d’une certaine misère sociale qui vient parasiter le couple et ses rêves d’avenir. Aux bourgeois restent les fantasmes d’enfants un peu grotesques qui se révèleront chimères dans un final convenu.