Barbara Hannigan appartient au genre de personnes auxquelles on ne peut pas refuser grand chose. Sa carrière déjà immense lui ouvre les portes de tous les orchestres, et lui permet de choisir avec lesquels elle souhaite se produire plus régulièrement. Un long compagnonnage la lie ainsi au Philharmonique de Radio France, avec lequel elle présentait ce programme à la Philharmonie de Paris.
Le programme a de quoi étonner : Pulcinella la néo-classique côtoie les farces de grands boulevards de la Gaîté Parisienne de Offenbach/Rosenthal et le cabaret de Kurt Weill. C’est pourtant le même parfum de retour vers le futur, de nostalgie de ce qui reste à venir qui émane de ces trois partitions.
Pour le pastiche pergolésien de Stravinsky, la chanteuse et cheffe se saisit d’un orchestre franchement symphonique. On est loin des lectures à la pointe sèche de Marriner ou même d’Abbado : l’orchestre est philharmonique et le fait savoir. En sincère musicienne, Hannigan cultive le souci du détail et ne manque pas de transmettre les curiosités instrumentales qui font tout le charme du langage de Stravinsky. Ce bel édifice manque pourtant de vaciller aux virages les plus serrés de l’œuvre, la faute peut-être à un léger manque de profondeur dans le geste, qui permettrait d’asseoir tous les musiciens au fond du temps.
Fidèle à son engagement pour la jeune génération, Barbara Hannigan réunissait autour d’elle trois jeunes talents issus du programme Equilibrium. Avec son timbre de baryton basse noble et généreux, Douglas Williams domine de haut la distribution (nous saluions déjà sa prestation dans un Rake’s Progress il y a deux ans). Julia Dawson n’est pas le mezzo le plus tonitruant de sa catégorie, mais sa malicieuse présence scénique lui permet de tirer habilement son épingle du jeu. On reste en revanche dubitatif face à la prestation de Ziad Nehme. Manifestement mal à l’aise musicalement et scéniquement, le chanteur peine à donner une direction à sa ligne de chant, et la place vocale change d’une voyelle à l’autre.
Le baroque doré de Pulcinella fait place à l’étourdissante folie de la Gaîté Parisienne. Pot-pourri des pages les plus célèbres d’Offenbach, c’est avant tout un numéro de démonstration orchestrale qu’a concocté Manuel Rosenthal. Et si l’on y retrouve sa fâcheuse tendance à prendre la caisse claire et le woodblock pour des instruments expressifs, il y a tout de même la « Barcarolle » d’Hoffmann admirablement servie par Julia Dawson et Hannigan elle-même pour goûter à un moment de beauté sans mélange.
Postlude à ce concert étincelant, Youkali et Lost in the Stars apportent une touche d’amertume. Tout d’abord à cause de la musique elle-même, et à la douce mélancolie qu’elle dégage. Les arrangements – d’un orchestrateur sur lequel le programme reste désespérément muet – sont tout à l’honneur de l’original, et les quelques écarts et citations ne font que renforcer la cohésion avec le texte. Fallait-il pour autant maquiller la seule réelle intervention vocale de Barbara Hannigan avec une amplification si grossière ? On doutera même de son utilité, puisque la voix reste couverte lors des passages les plus symphonistes de l’arrangement.
Barbara Hannigan est le genre de personnes à qui on ne peut pas refuser grand chose. Malgré ses faiblesses, ce concert est élaboré par une chanteuse qui se présente dans toute son intégrité musicale, et à laquelle il est difficile de ne pas céder.