Une soirée de rêve à l’Opéra-Comique ! Le duo inattendu Stravinsky-Ravel fonctionne à merveille au plus grand plaisir d’un public enthousiaste !
Alors que débute l’ouverture de Pulcinella, le rideau se lève sur le magnifique décor, aux couleurs terre de Sienne sur fond vert ou bleu, conçu par Sylvie Olivé : une structure verticale où se niche un escalier en spirale, à la fois ville et maison d’Italie au petit jour (tout droit sortie d’un tableau de Giorgio de Chirico) dans les lumières subtiles et soigneusement tamisées de John Torres. Surgit alors, immobile, le personnage de Pulcinella. Le danseur suédois Oscar Salomonsson, acteur de rêve et grand virtuose, l’incarne avec une poésie rare, en petit Charlot rêveur, au sourire mélancolique et à l’œil espiègle, qui joue de son chapeau melon comme d’un ballon d’enfant. Il nous entraîne peu à peu dans le tourbillon de la chorégraphie lumineuse de Clairemarie Osta, en totale harmonie avec la partition de Stravinsky. Les filles et les garçons auxquels s’affronte Pulcinella ont des airs de voyous du West Side newyorkais (magnifiques danseurs) alors que sa fiancée en robe blanche, a la légèreté éthérée des ballerines romantiques sur pointes (magnifique Alice Renavand), tous judicieusement habillés par le costumier de cinéma Olivier Bériot.
Louis Langrée dirige ici la version pour orchestre de chambre, Camille Chopin et Abel Zamora de l’Académie de l’Opéra-Comique, ainsi que François Lis, chantant avec une juste élégance les airs inspirés de la musique populaire italienne. Au final, le public réserve une ovation aux interprètes.
Pulcinella © Stéphane Brion
Dans la deuxième partie, la structure du décor est agencée différemment. L’aire de jeu est plus complexe ne serait-ce que pour installer les horloges de l’Heure Espagnole ! On songe cette fois à un caprice architectural d’Escher dans les années 1950 ! Dans le village espagnol, les passants se promènent et se croisent au crépuscule, sur la musique rêveuse de l’ouverture. L’Orchestre des Champs Elysées s’épanouit vraiment dans cette Heure Espagnole avec une riche palette de couleurs. Louis Langrée tellement à son aise dans l’univers ravélien, dirige cette partition si complexe avec une réelle passion. Il parvient à en dessiner précisément les multiples entrelacs : les envolées lyriques, les sous-entendus coquins, les soupirs en glissandi, les cacophonies d’horloges, de coucous et d’automates, sans oublier, les effluves sensuels de toutes les Espagne, du boléro baroque à la habanera romantique que chantent au final tous les protagonistes.
Guillaume Gallienne, en ce sens, est le complice idéal. Comme Patrice Chéreau, autrefois, découvrant la mécanique implacable du théâtre de boulevard, Galienne rythme avec une précision rigoureuse celle de L’Heure Espagnole et réalise là l’une des plus belles mises en scène de l’œuvre et, sans doute, l’une de ses plus belles réalisations lyriques. Et quels chanteurs ! L’inénarrable Torquemada de Philippe Talbot, Nicolas Cavallier en alcade ridicule, l’excellent interprète de mélodies françaises Jean Sébastien Bou à la vigueur vocale et musclée du muletier déménageur, Benoît Rameau poète platonique à la ligne de chant impeccable. Quant à Stéphanie d’Oustrac, elle est époustouflante dans le rôle de Concepción. Actrice hors pair, sa voix somptueuse est impressionnante dans l’air très lyrique « Oh ! La pitoyable aventure ! » ! Le public est aux anges et l’Opéra-Comique a retrouvé là sa plus belle âme.