Créée en 2008 et reprise en 2012 la production d’Olivier Py du chef d’œuvre de Stravinsky revient sur la scène de Palais Garnier, avec une distribution entièrement renouvelée que le public, venu très nombreux, a chaleureusement acclamée tout au long de la soirée. Le travail du metteur en scène français qui signait alors sa première collaboration avec l’Opéra national de Paris, s’est bonifié avec les ans et les quelques critiques dont il a fait l’objet lors de sa création paraissent aujourd’hui bien dérisoires. Les décors de Pierre-André Weitz s’appuient sur l’opposition entre le noir et le blanc, les lignes horizontales et verticales et les cercles. Au lever du rideau, la scène est partagée en deux niveaux. Au niveau supérieur se trouve une chambre à coucher éclairée par de grandes fenêtres ornées de voilages blancs qui laissent entrevoir un ciel limpide. Sur le sol un lit tout blanc qui sera omniprésent durant tout le spectacle. Ce niveau représente l’univers pur et serein dans lequel évoluent Tom Rakewell et Anne Trulove, qui apparaissent entièrement vêtus de blanc. Au niveau inférieur, auquel on accède par une échelle, apparaît Nick Shadow, tout en noir, qui vient semer le trouble en attirant Tom dans ses filets avant de l’entrainer dans un univers glauque, aux décors majoritairement noirs, éclairés par un cercle de néons rouge vif, et peuplé d’une foule interlope où se mêlent prostituées aux seins nus et danseuses de cabaret emplumées. Convoité tour à tour par Mother Goose et ses « filles », puis par la femme à barbe Baba la Turque qui deviendra son épouse, Tom finira dans un asile où il mourra dans les bras d’une vieille femme décharnée, après que Nick Shadow l’aura privé de sa raison à défaut d’avoir pu s’emparer de son âme.
La distribution est dominée par l’excellent Ben Bliss qui remplace Stanislas de Barbeyrac initialement prévu. Le ténor américain, omniprésent sur le plateau, campe un Tom Rakewell éperdu, tiraillé entre son amour pour Anne Trulove et la vie de débauche que lui fait miroiter Nick Shadow. Sa voix homogène sur toute la tessiture, son timbre clair et séduisant, son registre aigu bien projeté et son jeu tout en subtilité, captent durablement l’attention et suscitent la compassion du public comme en témoigne sa grande scène au début de l’acte deux « Vary the song », longuement applaudie. A ses côtés Golda Schultz incarne une héroïne volontaire et déterminée, incapable pourtant d’arracher Tom à ses démons. La soprano possède un timbre capiteux et une voix solide que couronne un aigu lumineux, notamment dans son air « Quietly night ». Py a eu l’idée de montrer Anne Trulove enceinte, puis mère d’un bébé qu’elle promène dans un landau ce qui confère au personnage une épaisseur supplémentaire. Iain Paterson est un démon inquiétant tant par son apparence et son jeu que par ses larges moyens qui en imposent d’emblée. Pour ses débuts à l’OnP, Jamie Barton compose une Baba la turque truculente à souhait. Avec sa perruque blond platine à la Marilyn et sa robe argentée et moulante elle n’est pas sans évoquer la célèbre drag queen Divine. A cela s’ajoutent un timbre voluptueux et un registre grave opulent qui lui valent dès son air « As I was saying », une ovation personnelle de la part du public. Justina Gringyté souffrante a trouvé en Hillary Summers une remplaçante de luxe. La contralto galloise s’est taillé un vif succès en mère maquerelle lubrique. Les rôles secondaires sont tous impeccable en particulier Clive Bayley, en père aimant et protecteur et Rupert Charlesworth, commissaire-priseur impérieux dans sa harangue « Who hears me » au début du troisième acte. Préparés par Ching-Lien Wu les Chœurs offrent une prestation en tout point remarquable.
Susanna Mälkki propose une direction fluide et précise émaillée de nuances pertinentes tout en prêtant une attention particulière aux chanteurs.