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STYNE, Gypsy – Paris (Philharmonie)

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Spectacle
21 avril 2025
Passage de flambeau

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Gypsy : A Musical Fable
Comédie musicale de Jule Styne sur un livret d’Arthur Laurents et des paroles de Stephen Sondheim
D’après les mémoires de Gypsy Rose Lee, Gypsy : A Memoir, publiées en 1957
Création le 21 mai 1959 au Broadway Theatre dans une mise en scène et une chorégraphie de Jerome Robbins

Détails

Production Philharmonie de Paris

Coproduction Opéra national de Lorraine, Théâtres de la Ville de Luxembourg, Orchestre de chambre de Paris,Théâtre de Caen, Opéra de Reims

Coréalisation La Villette, Philharmonie de Paris


Mise en scène, costumes

Laurent Pelly
Traduction des dialogues
Agathe Mélinand
Chorégraphie
Lionel Hoche
Lumières
Marco Giusti
Scénographie
Massimo Troncanetti
Collaboration aux costumes
Victoria Rastello
Collaboration aux coiffures et aux maquillages
Daniela Eschbacher
Assistant à la mise en scène
Paul Higgins
Design sonore
Unisson Design
Décor sonore
Aline Loustatot
Chef de chant
Stéphane Petitjean

Rose
Natalie Dessay
Louise
Neïma Naouri
June
Medya Zana
Herbie
Daniel Njo Lobé
Tulsa
Antoine Le Provost
Mazeppa, Hollywood Blonde
Barbara Peroneille
Electra, Hollywood Blonde
Marie Glorieux
Tessie Tura, Hollywood Blonde
Kate Combault
Miss Cratchitt, Agnès, Hollywood Blonde, Renée
Juliette Sarre
L.A.
Rémi Marcoin
Kansas
David Dumont
Yonkers
Léo Gabriel
Uncle Jocko, Weber, Pastey
Thomas Condemine
George, père de Rose, Cigar, Mr. Goldstone
Pierre Aussedat

Maîtrise de l’Opéra Comique
Baby June
Rose Quillet-Xavier / Suzanne Locasciulli
Baby Louise
Olivia Neri / Hortense Braka Fontaine

Orchestre de chambre de Paris
Direction musicale
Gareth Valentine

Paris, Philharmonie, le mercredi 16 avril 2025 à 20h

La salle était comble ce mercredi à la Philharmonie de Paris pour assister à la première de cette Gypsy, qui correspond quasiment à la première de l’œuvre en France, à peine devancée par la création de cette même production à Nancy. Il y a de quoi s’en étonner, tout d’abord parce que tout amateur de Broadway a déjà écouté « Rose’s Turn » en boucle , que ce soit avec les versions cultes de Bernadette Peters, Imelda Staunton ou Ethel Merman. Certains ont aussi pu voir le film de 1963 avec Rosalind Russell et Natalie Wood, certes déjà plus niche. Indépendamment de sa popularité, la comédie musicale a un certain nombre d’atouts qui auraient pu justifier sa programmation. La musique de Jule Styne est extrêmement efficace, facile à retenir, et remplie d’une énergie et d’une opulence très communicatives. Surtout, le livret est écrit par le même binôme de talent qui avait œuvré sur celui de West Side Story : Arthur Laurents au livret et Stephen Sondheim aux paroles. Ainsi, à partir des mémoires de la véritable Gypsy Lee, ils dressent le portrait d’une mère vampirisante, qui exploite ses filles June et Louise/Gypsy et les prive d’éducation pour vivre l’euphorie d’une carrière scénique par procuration. Le personnage a cela de fascinant qu’on comprend également qu’elle a elle-même été empêchée et délaissée plus jeune, aussi pense-t’elle sincèrement donner ce qu’il y a de mieux à ses filles en s’investissant de la sorte. Le livret fait par ailleurs l’impasse sur la bisexualité (ou le lesbianisme) du personnage historique, et surtout sur la rumeur d’un meurtre qu’elle aurait commis dans la pension de femmes qu’elle tenait. On voit donc bien la richesse thématique qu’on peut tirer de l’ouvrage : les répercussions d’une frustration personnelle sur l’éducation de ses enfants, le galvaudage de l’image de l’enfance, la cruauté du monde du spectacle, l’exploitation des femmes, même la lutte des classes… Tout ceci étant évidemment contrebalancé, Broadway oblige, par une galerie de seconds rôles de caractère, des grandes scènes de show, et un rythme comique à toute épreuve. Les dialogues sont ainsi remplis de moments qui, avec le bon tempo, sont d’une drôlerie irrésistible : – « Mr. Weber, vous m’avez coupé en plein milieu d’une phrase » – « Mme Rose, vous êtes toujours au milieu d’une phrase ».

Sans surprise, c’est à ce dernier aspect que Laurent Pelly semble s’être le plus attaché, en tant que référence française du répertoire léger. Dans un espace limité, construit autour de l’orchestre, il signe un spectacle assez cartoonesque, avec une direction d’acteurs qui semble délibérément s’écarter de toute psychologisation. Les spectacles ringards de Mme Rose sont ainsi aussi drôles qu’attendus, et les seconds rôles, d’abord les boys puis les stripteaseuses, apportent toujours une énergie bienvenue. Il faut d’ailleurs citer les chorégraphies de Lionel Hoche, dans le style Broadway d’origine, qui contribuent grandement au rythme du spectacle alors qu’elles auraient pu être contraintes par l’espace scénique. Globalement, le spectacle est parfaitement lisible, et très recommandable pour découvrir l’œuvre. Et pourtant, si l’on passe une excellente soirée, on arrive à l’entracte avec une impression en demi-teinte. La faute d’abord à un vrai problème de ton : à toujours être dans une forme de divertissement un peu caricatural, on perd une grande partie du potentiel thématique de l’œuvre. L’un des intérêts majeurs de Gipsy est en effet pour nous cet équilibre constant entre le comique involontaire de Rose et la glauquerie, voire la profonde tristesse de la situation. Ce n’est qu’à la toute fin de la première partie, avec un regard déchirant de Natalie Dessay suite au départ de June, qu’on perçoit pour la première fois ce doux-amer qui nous semble au cœur de l’œuvre. On est aussi gêné dans ce début de représentation par le tempo comique, notamment dans les scènes de rencontre entre Rose et les directeurs de théâtre, qui nous paraissent très en dessous de l’hyperactivité à laquelle elles appellent. Il faut dire que les comédiens-chanteurs ne sont pas aidés par une traduction des dialogues très littérale, qui aurait nécessité plus de liberté pour avoir autant d’impact que la version originale. Connaissant l’enfer des droits d’auteur dans ce répertoire, on ne saurait cependant le reprocher à Agathe Mélinand, qui a probablement été contrôlée et limitée dans sa marge d’interprétation par les ayant-droits. Enfin, évoquons notre dernier (léger) grief : ces bruitages enregistrés qui reviennent régulièrement pour expliciter le lieu de l’action nous paraissent non seulement superflus, mais un peu faciles. Le problème n’est pas leur réalisation, mais bien la façon dont ils sont mobilisés à plusieurs reprises pour compenser un certain manque d’activité sur scène. La deuxième partie nous amène moins de réserves, notamment du fait de l’interprétation, sur laquelle nous allons maintenant nous attarder.

Natalie Dessay, Daniel Njo Lobé
©️Jean-Louis Fernandez

Le choix de donner le rôle de Rose à Natalie Dessay, à ce stade de sa carrière, s’inscrit dans une certaine tradition. En effet le rôle est souvent donné à des chanteuses qui brillent en premier lieu par leur présence sur scène et leur intensité, ce que Dessay a largement exploré ces dernières années en multipliant les projets au théâtre. De fait, son dernier air, le fameux « Rose’s Turn », est assez bouleversant par l’énergie du désespoir qu’elle y met, sans prendre le temps de s’apitoyer sur elle-même. On reconnaît par de simples regards la fine comédienne qu’elle a toujours été, capable de toucher immédiatement sans rien dire. Les quelques moments d’émotion de sa prestation sont ainsi assez saisissants. Pourtant, en ce soir de première, il nous semble que la direction d’acteurs ne rend pas justice à l’étendue de sa palette de jeu. Avec ce parti pris uniformément léger, les effets qu’elle met dans sa voix parlée (en jouant sur les ruptures de registres) nous semblent confiner le personnage à une espèce de marâtre de vaudeville, et en cela diminue l’empathie que pourrait avoir le public pour elle ou pour ses filles. On s’amuse souvent, certes, mais en restant un peu extérieur la plupart du temps. Ce n’est pas que nous voudrions faire de cette comédie musicale un drame social grisaillant à la Dardenne ou à la Ken Loach, mais encore une fois, il nous semble que l’intérêt de la pièce repose sur le contraste entre les paillettes qu’elle fantasme et la misère de la situation. Cela ne nous paraît pas tellement à attribuer à la chanteuse, mais aux partis pris de la mise en scène. En revanche, on est un peu plus gêné par un anglais compréhensible mais peu percutant, avec des voyelles assez françaises.
Son binôme, le Herbie de Daniel Njo Lobé, a pour lui une grande élégance et un jeu très naturel. Le personnage permet moins d’extravagance, mais le calme et le charisme de son interprète offrent un contrepoint bienvenu aux névroses de Rose. Il est par ailleurs très convaincant dans ses parties chantées, alors qu’on ne trouve aucune mention de formation musicale dans sa biographie. Peut-être faut-il alors également saluer le travail du chef de chant de la production, Stéphane Petitjean.

Medya Zana, Rémi Marcoin, David Dumont, Antoine Le Pruvost, Léo Gabriel
©️Jean-Louis Fernandez

L’une des grandes forces du spectacle est pour nous l’ensemble de jeunes chanteurs réuni pour l’occasion, tous formés à la comédie musicale, et ainsi maîtrisant aussi bien le belting, la comédie que la danse, sans compter une diction absolument irréprochable. Neïma Naouri (Gypsy), en plus d’avoir une alchimie évidente sur scène avec sa mère, continue de se positionner comme l’un des grands espoirs français de ce répertoire, avec une voix corsée et libre, très reconnaissable, et un tempérament affirmé. Son « Let me entertain you » est ainsi l’un des moments les plus applaudis de la soirée, à juste titre tant elle réussit à y rendre palpable le cheminement intérieur du personnage, jusqu’à lâcher tous les chevaux. Elle forme également un duo très convaincant avec la soprano kurde Medya Zana, qui interprète sa sœur June à l’âge adulte. Le rôle est plus court, plus uniformément comique, mais elle s’en sort avec beaucoup d’auto-dérision, en surjouant la femme-enfant et trafiquant sa voix, pour un résultat très drôle. L’effet est d’autant plus convaincant qu’on voit bien derrière toute la technique qui lui permettrait d’assurer également des parties plus sérieuses. Un autre grand moment de la soirée est le trio des strip-teaseuses « You gotta have a gimmick », qui rend le public hilare grâce à l’interprétation volcanique de Barbara Peroneille (Mazeppa), Marie Glorieux (Electra), et Kate Combault (Tessie Tura). Le numéro est assez payant en soi, mais chacune s’empare de son moment avec un humour, une présence, et des moyens vocaux qui produisent un effet immédiat. A la question « comment abordez-vous les seconds rôles », Annie Girardot répondait « je les joue comme si c’était des premiers » : c’est exactement l’impression que nous donnent ces trois chanteuses ce soir. Pour clôturer ce casting féminin, Juliette Sarre montre un vrai talent pour la caricature, d’abord avec sa Miss Cratchitt pincée comme rarement, puis avec une Agnès délicieusement cruche.

Les seconds rôles masculins ont moins le temps de briller individuellement, à l’exception remarquée d’Antoine Le Provost, qui offre avec son numéro de claquettes le moment le plus spectaculaire de la soirée. Le danseur est impressionnant, mais le chanteur n’est pas moins excellent, avec une voix claire et agréable. Déjà réduit dans le livret, son personnage semble cependant avoir encore moins de temps que d’habitude pour exister ce soir, peut-être en raison de coupes. Il forme avec ses trois acolytes Rémi Marcoin, David Dumont et Léo Gabriel un quatuor extrêmement vif, sur lequel repose largement le rythme de la première partie dans cette production. Enfin, Pierre Condemine et Pierre Aussedat, eux exclusivement comédiens, visent juste à chacune de leurs interventions.

Le spectacle n’aurait pas été le même sans la luxueuse présence de l’Orchestre de chambre de Paris, en grande forme ce soir, et particulièrement déchaîné sous la baguette de Gareth Valentine. Ce dernier, visiblement familier de ce répertoire, choisit des tempi globalement très allants ce soir, avec beaucoup d’énergie, mais qui font toujours sens théâtralement. Il réussit ainsi à stimuler le plateau en permanence sans jamais les pousser dans leurs retranchements. On n’est pas forcément habitué à entendre ce son très symphonique classique dans le musical, notamment au niveau des cuivres, habituellement un peu moins ronds, mais c’est aussi très agréable à partir du moment où on sent le même rebond rythmique dans tout l’ensemble.

©️Jean-Louis Fernandez

On ne peut que recommander à ceux qui ne connaîtraient pas l’œuvre d’aller dans les lieux de reprise de la production la découvrir, avec la garantie de voir une production enthousiasmante et très accueillante. Pour ceux qui la connaîtraient déjà, il faut tout de même y aller pour découvrir le futur de la comédie musicale en France, alors qu’il reste encore beaucoup à faire pour lui donner la place qu’il mérite. Quoi qu’il en soit, voilà un spectacle qui sort largement le public de la Philharmonie de la léthargie dont il peut être familier, avec des spectateurs enthousiastes, réactifs, contribuant largement à la joie qu’on retient de cette soirée.

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Gypsy : A Musical Fable
Comédie musicale de Jule Styne sur un livret d’Arthur Laurents et des paroles de Stephen Sondheim
D’après les mémoires de Gypsy Rose Lee, Gypsy : A Memoir, publiées en 1957
Création le 21 mai 1959 au Broadway Theatre dans une mise en scène et une chorégraphie de Jerome Robbins

Détails

Production Philharmonie de Paris

Coproduction Opéra national de Lorraine, Théâtres de la Ville de Luxembourg, Orchestre de chambre de Paris,Théâtre de Caen, Opéra de Reims

Coréalisation La Villette, Philharmonie de Paris


Mise en scène, costumes

Laurent Pelly
Traduction des dialogues
Agathe Mélinand
Chorégraphie
Lionel Hoche
Lumières
Marco Giusti
Scénographie
Massimo Troncanetti
Collaboration aux costumes
Victoria Rastello
Collaboration aux coiffures et aux maquillages
Daniela Eschbacher
Assistant à la mise en scène
Paul Higgins
Design sonore
Unisson Design
Décor sonore
Aline Loustatot
Chef de chant
Stéphane Petitjean

Rose
Natalie Dessay
Louise
Neïma Naouri
June
Medya Zana
Herbie
Daniel Njo Lobé
Tulsa
Antoine Le Provost
Mazeppa, Hollywood Blonde
Barbara Peroneille
Electra, Hollywood Blonde
Marie Glorieux
Tessie Tura, Hollywood Blonde
Kate Combault
Miss Cratchitt, Agnès, Hollywood Blonde, Renée
Juliette Sarre
L.A.
Rémi Marcoin
Kansas
David Dumont
Yonkers
Léo Gabriel
Uncle Jocko, Weber, Pastey
Thomas Condemine
George, père de Rose, Cigar, Mr. Goldstone
Pierre Aussedat

Maîtrise de l’Opéra Comique
Baby June
Rose Quillet-Xavier / Suzanne Locasciulli
Baby Louise
Olivia Neri / Hortense Braka Fontaine

Orchestre de chambre de Paris
Direction musicale
Gareth Valentine

Paris, Philharmonie, le mercredi 16 avril 2025 à 20h

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