Quelle soirée ! Le programme était en soi alléchant et l’affiche prometteuse, mais la perfection atteinte en cette chaude nuit d’été tient du miracle… Orchestre irréprochable, solistes au zénith, émotion intense et auditoire en apesanteur : on sort épuisé et heureux.
Tout d’abord mis dans l’ambiance par l’ouverture de la Khovanchtchina de Moussorgski interprétée avec une douceur et une plénitude extrêmes, on apprécie l’excellent niveau de l’orchestre du Mariinsky et de son chef, Valery Gergiev. Une fois encore1, il suffit de regarder ses mains, mobiles et exceptionnellement expressives (il dirige sans baguette), pour pressentir la musique qui semble par ailleurs sourdre de chacun des membres d’une formation aux visages peu expressifs mais éminemment habités. La qualité sonore qui se dégage du plateau nous prépare à l’arrivée de René Pape. Le chanteur fascine immédiatement par des qualités multiples : évidence de la diction russe, puissance de l’émission, justesse des moindres modulations, interprétation convaincante. L’émotion se diffuse dès les premières paroles du monologue de Boris. La noirceur veloutée du timbre se prête à toutes les nuances de l’agonie du tsar qu’on suit pas à pas, fasciné.
Le temps de laisser l’interprète changer d’univers vocal en coulisses, on passe à Wagner avec un prélude de Lohengrin tout en délicatesse où les cordes tressent leur tissu sonore tandis que solistes et ensembles se passent le relais avec une suave dextérité. René Pape nous emmène ensuite dans une mémorable scène d’adieu de la Walkyrie avec un Wotan puissant, terrible et brisé. Couleur et variations caractérisent la voix dont la profondeur caverneuse donne de nouveau le frisson. L’orchestre de Valery Gergiev accompagne en la sublimant cette scène ou l’intime et le rituel se heurtent et se transcendent.
On revient curieusement, après la pause, au premier acte de la Walkyrie avec un tour de passe-passe qui voit René Pape se métamorphoser en Hunding. Là encore, le rôle lui va comme un gant. Inquiétant, sournois et terrifiant, le personnage se dresse devant nous ; le timbre de bronze fait sensation. En regard, la ligne de chant de Susan Foster apparaît remarquablement stable, la pureté du chant confèrant une innocence étrangement sensuelle à Sieglinde. Son Siegmund, campé avec conviction par Gary Lehman, est un colosse qui sait néanmoins se faire élégiaque pour incarner le frère amoureux de la soeur.
Balloté entre extase et agonie, cette soirée nous a valu une petite mort : la jouissance.
1 Lire notre compte-rendu du Viaggio a Reims et du Requiem de Verdi, quelques jours auparavant