Philippe Jaroussky est décidément un phénomène et l’entendre dans une salle plutôt qu’au disque se révèle une expérience pluri-sexuelle. Si son physique de jeune trentenaire, assez lisse, évoque un fils de bonne famille, sa voix lui permet d’atteindre des sommets d’agilité avec une apparente facilité un rien agaçante. Voix des anges ? De ceux que l’on suppose sans sexe ? De fait, ce n’est pas tant d’absence de sexe qu’il s’agit là, mais bien plutôt d’une surprenante union des genres digne des plus beaux oxymores. On atteint proprement l’androgynie, à savoir cette recherche utopique, nostalgique et désespérée, de la coincidentia oppositorum, la réunion ou la fusion des contraires.
Le programme du jeune contre-ténor est à cet égard particulièrement intelligent : soit qu’on se laisse prendre au charme de sa technique conquérante, soit qu’il se bonifie au fur et à mesure de la soirée, force est de constater que sa prestation finit par friser la perfection. On assiste en effet à un crescendo dans la performance tout comme dans l’émotion. Le chant est beau, étonnement ample et plus large qu’on ne l’aurait attendu, épanoui même. Avec un soin remarquable apporté à l’expression des affects et à la qualité du phrasé, une diction nette et tranchée, le chanteur s’impose malgré l’immensité décourageante de la salle. Curieusement, les ornements s’approchent du minimalisme le plus épuré, la virtuosité palpable et déployée l’est pourtant sans afféteries, les aigus les plus percutants finissent par fusionner dans un souffle éthéré, létal, mais angélique. « Se mai senti spirarti sul volto » de La Clemenza di Tito par exemple.
Peu de coloratures gratuites, de déploiements de virtuosité pure : chaque note tombe ainsi très juste. Ce qui par moments laisse craindre une étroitesse des possibilités s’avère en fait toucher au recueillement. Voilà qui est très éloigné des roucoulades attendues – voire abhorrées – de ceux qui cherchent à reproduire le chant des castrats. Et c’est peut-être là tout le prix de l’interprétation et du travail de Philippe Jaroussky : la retenue et l’harmonie, pour une voix tour à tour aigre et douce, artificielle puis évidente de naturel et de spontanéité. Son union avec l’orchestre Concerto Köln, dirigé par Markus Hoffmann, est tout aussi remarquable.
Et le contre-ténor offre au public badois son plus beau cadeau : quatre rappels merveilleux où le plaisir de chanter se fait de plus en plus apparent. Le jeune homme s’ouvre littéralement, le visage
fendu d’un immense sourire. Le chant se fait enfin sensuel et baroque, avec de la morbidezza, loin de toutes les retenues antérieures. Mémorable !