La présentation de La Forza del Destino, dans le programme du Liceu, est très bien faite : on y apprend que, afin de conserver la bonne humeur de son mari, la prévoyante Giuseppina avait emporté à Saint-Pétersbourg, pour la création de l’œuvre, des tagliatelles et des macaronis qu’elle savait ne pas trouver sur place. Et parmi les autres choses « indispensables » au voyage figuraient cent bouteilles de vin et vingt de Champagne. Pendant la représentation, on se prend à rêver à la création à Saint-Pétersbourg, accompagnée de délicieuses pâtes arrosées de Champagne…
Car malheureusement, les mets servis sur scène ne sont pas ce soir du même niveau. Déjà, la production de Jean-Claude Auvray ne s’est pas vraiment améliorée depuis Paris (voir le compte rendu de Julien Marion). À son actif, une grande sobriété ; à son passif, une direction d’acteurs (solistes aussi bien que choristes) fort médiocre pour ne pas dire inexistante. L’implacable montée du drame et le souffle épique en sont absents, et l’on est plus ici au niveau d’une succession de faits divers. Et pour comble de malchance, Norma Fantini, la Leonora programmée, est victime d’une indisposition.
Comme beaucoup de maisons d’opéra, le Liceu ne pratique plus l’alternance, et il est curieux de constater qu’aucune des deux autres titulaires du rôle (Violeta Urmana pour la première série et Micaela Carosi pour les séries « populaires ») ne sont disponibles ce soir. C’est donc à une remplaçante au pied levé, Maria Pia Piscitelli, que revient le redoutable privilège de sauver la soirée. Cette cantatrice aguerrie assure avec un grand professionnalisme, mais elle n’a pas pour autant l’étoffe d’une vedette de premier plan, nécessaire au rôle de Leonora. Prenant sans cesse à témoin le public de toutes les catastrophes qui lui arrivent, elle lasse par un jeu répétitif ; côté musical, elle sait chanter, et allège savamment les moments élégiaques, mais des notes non tenues, des frémissements de la voix montrent qu’elle trouve ici ses limites. Donc une honnête prestation dans le cadre d’une représentation de routine.
Car le problème est le même pour quasiment tout le plateau : l’ensemble n’est pas vraiment mal chanté, mais on s’ennuie ferme, sauf comme presque toujours, pour les deux rôles de Padre Guardiano et de Frà Melitone, remarquablement interprétés par Carlo Colombara et Roberto de Candia. Les autres rôles principaux, chantés (parfois criés) par des voix non verdiennes ou prématurément usées, n’entraînent guère l’enthousiasme. Quant à la direction d’orchestre parfois heurtée de Renato Palumbo, elle brille surtout par des inflexions exagérées, voire vulgaires. Les chœurs, au volume sonore un peu surdimensionné par rapport à celui des solistes, tonitruent quelque peu là où l’on attend plus de retenue. L’assistance, un peu plus clairsemée après chaque entracte, ne s’y est pas trompée.