A la Deutsche Oper de Berlin, le public est nombreux pour ce Tannhäuser (version de Dresde) de répertoire. Autour d’une solide distribution, Stephen Gould retrouve, dans une production manichéenne créée en 2008, le rôle qui l’a fait connaître à Paris.
Dès l’ouverture – sans la bacchanale donc – Kirsten Harms ouvre le rideau et présente les axes clés de sa lecture : un chevalier en armure descend dans l’enfer du Venusberg. Le mouvement trouvera son exact opposé dans l’ascension du chœur des pèlerins au premier acte. Ainsi, le plateau de scène fait l’ascenseur pendant tout le spectacle, devenant tour à tour abîme, tranchées, marches ou montagne. L’ensemble est immédiatement lisible, baigné des splendides lumières et ambiances de Bernd Damovsky : rouge, violacée pour le désir et le péché ; bleu, blanc pour la pureté. Mais tous les autres pans de l’œuvre de Wagner sont peu ou prou évacués. La place de l’art et de la création artistique ? Sa valeur subversive ? Non. Au moins ce manichéisme s’exprime-t-il moins en bien et mal qu’en dichotomie plaisirs charnels, ascèse. Dès le deuxième acte, l’ensemble tourne vite en rond : statisme et costumes grands guignolesque à la Wartburg et retour à un univers médical hors de propos déjà vus trop de fois chez Wagner au troisième acte. On supporte encore une fois ces rangées de brancards d’où se relèvent les pèlerins, pas tout à fait remis malgré les soins d’Elisabeth. Une vierge bercée par un Wolfram, bien trop souvent concupiscent à son égard pour être honnête, qui lui détache les cheveux. Recouverte d’un drap d’hôpital, elle se relève en Venus, le rôle étant ce soir tenu par la même interprète.
Heidi Melton ne démérite pas même si elle mâchouille son allemand en comparaison des autres chanteurs. Un rien mal à l’aise dans la tessiture de Vénus elle peine à monter en tension et en volume. Elisabeth la présente sous un jour nouveau, plus homogène. La fraîcheur de la voix n’est pas entamée, « Dich Teure Halle » résonne triomphant malgré quelques duretés. Le reste de la représentation sera dans la même veine, et son endurance finira d’emporter l’adhésion. De l’endurance Stephen Gould en a à revendre. Arrivé sur la réserve au dernier festival de Bayreuth après une année passée à chanter Tristan un peu partout, il a fait le plein de vitamines et retrouvé toute son ardeur. Un chant vitaminé car dès la première phrase, éclatante, on se demande comment il va tenir et aller crescendo dans ce premier acte. Et pourtant chaque invocation est chantée plus fort avec des accents, qui, de tendres deviennent de plus en héroïques. Vitaminé aussi, le deuxième acte est assumé avec de belles nuances piano dans les ensembles, alors qu’au dernier acte l’Américain opère la synthèse dans un récit de Rome qui met en valeur toutes ces qualités. Même si on l’aimerait plus immédiatement suave, plus profond, le Wolfram de Markus Brück est toujours musical, notamment au troisième acte. L’allemand s’accommode de la nasalité de son timbre pour accompagner la mise en scène qui voit l’amour de son personnage moins platonique et pur que ne le suggère le livret. Stature et autorité d’Hermann s’incarnent dans la basse solide d’Ante Jerkunica. Le ténor Thomas Blondelle prête à Walther une belle ligne et la puissance mâle de son timbre. Il surnage dans les ensembles. Seul Biterolf manque à l’appel des chevaliers, Seth Carico se trouve court en terme de projection. Les chœurs, très sollicités, brillent par leur puissance et une homogénéité à peine entamée par les aigus un peu acide des sopranos lors de l’entrée dans la Wartburg. Elles se rattraperont dans leur dernière intervention du deuxième acte.
A l’instar de Manon Lescaut de la veille Donald Runnicles construit pas à pas, gagne en qualité et en sens du théâtre tout au long de la soirée. Les légers décalages apparus çà et là se résorbent. La petite harmonie retrouve progressivement sa rondeur. Lors du récit de Rome, l’espoir d’Heinrich voltige chez les flûtes et la noirceur du jugement du Pape est appuyée par les cuivres et les violoncelles