Dans le cadre du festival de la Vézère et après une Fille du régiment trépidante et rondement menée (voir notre compte-rendu), la troupe de Diva Opera change de registre avec Rigoletto. Au piano, on retrouve Brian Evans et sa compagne tourneuse de pages, Anne Marabini Young, respectivement directeur musical et directrice générale, qui proposent de l’oeuvre une réduction orchestrale satisfaisante. Pourtant il est bien difficile de vouloir épurer une partition aussi riche en effets et par ailleurs dans l’oreille de tout un chacun. Certes, la scène de la tempête souffre quelque peu du manque d’effectifs, mais les quatre chanteurs qui tiennent lieu de chœurs parviennent à imiter les rafales de vent à bouche fermée avec beaucoup d’élan. Dans l’ensemble, la transcription se tient et l’on retrouve son Verdi…
Comme la veille, le spectacle a lieu au château du Saillant, propriété des Lasteyrie du Saillant et notamment d’Isabelle, présidente du festival de La Vézère où l’on programme chaque année les opéras de Diva Opéra. Après le pique-nique pris dans les jardins du château, tout le monde s’installe dans les anciennes écuries du domaine très vite pleines à craquer : nombreux sont ceux pour qui ces opéras de chambre sont des événements mieux que privilégiés. Le public est réparti au pied de la scène, sur trois côtés, et quelque trois cents spectateurs se serrent autour d’un plateau réduit à un mouchoir de poche, d’environ 5 mètres sur 7. Plus haut, la mezzanine a été investie par des aficionados, très fiers d’être en hauteur. Il est vrai que le son y est bien mieux réparti et que cette tribune renforce le sentiment d’assister à un spectacle élisabéthain. Un vasistas a été ouvert pour laisser entrer un peu d’air, ce qui me permet de voir les « coulisses », les chanteurs se changeant sur la pelouse au milieu des hydrangeas plantureux, juste derrière la porte qui donne directement sur la scène. Petit clin d’œil qui permet d’apprécier l’efficacité du dispositif de la troupe anglaise : les décors sont réduits au strict minimum, les accessoires sont restreints mais les costumes sont superbes. Il faut saluer le travail de Cordelia Chisholm, mieux inspirée dans les costumes que dans les décors à la Serra, simples structures métalliques qui permettent de séparer ou rapprocher les personnages. Le dispositif sous-entend toutefois une parfaite connaissance de l’œuvre, sans quoi on ne comprend rien à ce qui se passe, le spectacle n’étant pas surtitré. Les courtisans ressemblent à des pénitents noirs tout droits sortis d’un tombeau sculpté par Sluter. Servis par la belle chorégraphie de Mandy Demetriou, on les retrouve dans la scène finale où ils se penchent sur Gilda devenue gisant. L’effet est poignant. Autre belle idée, l’apparition du bouffon bossu au bal, coiffé d’un masque de rapace au nez crochu et vêtu d’un costume doté d’un jabot de plumes de coq, sans protubérance particulière, mais offrant néanmoins une apparence boiteuse conférée par une main nue, l’autre gantée d’une sorte de moignon au pouce griffu. Entre Freaks et le carnaval de Venise, cette réflexion visuelle sur la monstruosité est proprement fascinante. Le spectacle vaut aussi pour les voix, certaines véritablement magnifiques…
Et en tout premier lieu, Sarah Power enchante et illumine la soirée. Cette Irlandaise rousse à la peau diaphane et à la chevelure abondante possède une technique très sûre. Elle correspond idéalement à une Gilda juvénile magnifiée par la pureté, la fraîcheur et le miel d’une voix naturellement belle aux pianissimos à se pâmer. L’agilité stupéfiante et la détermination toute en maturité font également merveille dans la dernière partie. À ses côtés, Eddie Wade répond parfaitement aux exigences du baryton Verdi pour le rôle-titre, complétées par une bien belle qualité : la capacité à communiquer ses émotions. Du cynisme à la terreur, il déploie une superbe palette de sentiments tant dans le jeu que la vocalité. Dommage, en revanche, d’être confronté au duc de Nicholas Ransley bien pâle en comparaison. Le célèbre quatuor n’en demeure pas moins satisfaisant grâce à la prestation convaincante d’Antonia Sotgiu, solide Maddalena. Freddie Tong – déjà vu la veille dans le rôle de Sulpice – en en fait un peu trop en Sparafucile ; sa voix, incontestablement puissante, gêne par son instabilité mais offre de beaux aigus et quelques graves mémorables. Également vue la veille, Gaynor Keeble se tire honnêtement du rôle de Giovanna. On retrouve aussi avec bonheur l’excellente Catriona Clark, fille du régiment devenue Comtesse Ceprano. La distribution est complétée par un Monterone formidable avec une mention spéciale pour David Stephenson. Si à la place des kleenex se trouvait encore un beau mouchoir de batiste dans la poche, il y aurait un nœud dedans pour aider à se souvenir du spectacle et d’un rendez-vous : celui du prochain festival et des retrouvailles avec Diva Opera.
Catherine Jordy