Il faut souligner l’audace et l’engagement du festival de Peralada qui crée chaque année une production « maison » pour une unique représentation ! Pour fêter les 35 ans de l’institution, le metteur en scène Joan Anton Rechi convoque sur scène les héros des précédentes éditions, de Papageno à Carmen en passant par Turandot. Tous sont les personnages en quête d’auteur d’un Fairy Queen haut en couleurs.
La trame narrative du semi-opéra est délaissée, l’ordre des numéros quelque peu bouleversé au profit d’une création chorale où chaque protagoniste tente de ranimer la flamme défaillante du poète ivre afin de retrouver son identité.
La structure du Mask anglais est assez souple pour se prêter volontiers à ce genre d’extrapolation. Le résultat se révèle plein d’allant et de fantaisie même si l’on peut déplorer que la représentation ne se trouve tirée vers le divertissement le plus léger au détriment de l’émotion, d’autant plus que la sonorisation – superflue – nuit aux voix et aux nuances.
Illustrant un monde égaré où chacun se cherche, la première partie multiplie les couples d’opéra les plus improbables, les plus mal assortis, l’occasion de moments oscillant entre potache et loufoque. Il faudra les interventions successives de trois reines d’Angleterre pour remettre un peu d’ordre dans ce chaos et rendre à chacun sa chacune. Xavier Sabata incarne avec jubilation Elisabeth Première, Victoria puis Elisabeth II. Le savoureux contre-ténor se voit ainsi en charge de trois airs, dont deux qui ne font pas partie de la partition (« Music for a While », « Sweeter than roses ») qu’il interprète avec panache. L’époque était coutumière du fait, il semble inutile de s’en offusquer d’autant plus que c’est l’occasion de se régaler du timbre généreux, de l’émission très naturelle du Catalan.
© Miquel González
Entre batailles d’oreillers et gâteau d’anniversaire, les idées malignes ne manquent pas, à l’exemple des airs des saisons qui sont interprétés comme une finale de l’Eurovision. Certaines trouvailles atteignent les limites du bon goût comme lorsque Salomé se défait de la tête de Jokanaan qui devient ballon de rugby d’une partie générale.
Ceci dit, la direction d’acteur, elle, ne mérite que des éloges. Chacun des interprètes du chœur est parfaitement caractérisé, par son costume unique, bien entendu, mais également par ses réactions à l’action principale, chorégraphiées de manière aussi précise qu’individuelle. Il y a donc beaucoup à voir et l’attention ne se relâche pas une seconde dans les lumières psychédéliques d’Alberto Rodríguez Vega. Scéniquement, l’ensemble vocal O vos Omnes dont c’est apparemment la première incursion dans le répertoire scénique est tout simplement bluffant de crédibilité. Vocalement, la direction de Xavier Pastrana fait également des étincelles et l’on se régale de toutes les interventions chorales, précises, nuancées, même dans les configurations les plus improbables.
Deux excellents danseurs, Mar Gómez et Xavi Martínez, ajoutent une note décalée et festive au spectacle tandis que, depuis la fosse, Dani Espasa, personnalité éminente du baroque catalan, dirige avec feu son orchestre Vespres d’Arnadí. Dès l’ouverture, le son est généreux, l’équilibre des pupitres remarquable et l’écoute du plateau parfaite tout au long de la soirée. Mention particulière aux trompettes, splendides et parfaitement justes ainsi qu’à la parfaite symbiose de tous dans la plus grande délicatesse comme dans « Hush No More Be Silent All ».
Six solistes se partagent les airs avec brio. Ana Quintans marque particulièrement les esprits en Butterfly au timbre charnu, aux beaux graves naturels bien ancrés même portée par un danseur comme dans « Ye Gentle Spirits Of The Air, Appear » ou surtout dans le bouleversant « O let my weep » où elle ne manque pas de se suicider, comme il se doit.
La Tosca de Judit van Wantoij souffre d’aigus un peu tendus mais régale de piani veloutés dans « See, Even Night Herself Is Here » et reprend ses aises avec le mutin « When I Have Often Heard ». Surtout, son timbre frais, ne manquant pas de piquant, réjouit dans « Happy lovers ».
Mark Milhofer, amusant comédien, campe un Escamillo à la puissante projection, à la voix pleine et solaire, d’un beau métal. Nicolas Brooymans est un « drunken poet » de grande classe, à la voix suave, à la diction épatante qui régale dans « Hush No More Be Silent All » ou amuse en crooner jouant de son vibrato à la limite du style dans « See My Many Colour’d Fields ». Il fait la pair avec l’excellent Don Juan de Thomas Walker dans le duo « A Thousand Thousand Ways We’ll Find ».
Tout l’opéra est donc convoqué pour compenser l’abandon de la narration de la pièce de Shakespeare au risque d’un certain appauvrissement émotionnel. Toutefois, servie par de formidables interprètes, la mise en scène assume pleinement ce choix et creuse un sillon ludique qui fonctionne tout au long de cette brillante soirée catalane.