De La Flûte enchantée montée en 2014 par Simon McBurney, les festivaliers avaient gardé un souvenir ému. Le retour à Aix du metteur en scène britannique ne suscitera peut-être pas tout à fait le même éblouissement. Sa vision de The Rake’s Progress repose sur une excellente idée de départ, mais qui, à elle seule, ne suffit pas à porter le spectacle aux sommets les plus élevés. L’univers idyllique de la première scène ici symbolisé par une sorte de vaste boîte en papier, sur les parois de laquelle est projeté un paysage pastoral emprunté à quelque peinture ancienne. Pour y faire son intrusion, Nick Shadow n’aura qu’à crever ces murs fragiles, par où le héros s’échappera pour entamer sa carrière de libertin, un décor urbain moderne se substituant au cadre champêtre initial. Et chacune des scènes suivantes verra de nouvelles déchirures se former, également dans le plafond ou dans le sol, le comble étant atteint lorsque Baba la Turque évoque tous les objets qu’elle a collectionnés au cours de sa vie. A la fin, les vidéos disparaissent pour montrer la boîte de papier percée de tous ces trous, auxquels Tom Rakewell ajoute encore dans sa démence. Le procédé est simple et indéniablement efficace, mais ne se renouvelle pas vraiment au fil du spectacle, même si Simon McBurney sait diriger les personnages du drame, faire bouger le chœur et utiliser avec ingéniosité une dizaine de figurants, notamment sous la forme d’un véritable défilé de partenaires sexuels pour le héros qui chante sa lassitude face à son existence londonienne.
© Pascal Victor
Dans un rôle qui n’exige pas à proprement parler de prouesses vocales, Paul Appleby fait valoir de solides atouts puisqu’il sait rendre son discours constamment expressif, charger les mots de sens, et nous faire partager l’évolution de son personnage sans surcharge aucune jusque dans ses derniers instants. Du diable qui l’entraîne sur la pente du mal, Kyle Ketelsen n’a pas la noirceur habituelle : son Nick Shadow paraît longtemps bien inoffensif, et ce n’est que dans son ultime scène qu’il dévoile sa nature diabolique, mais peut-être est-il alors un peu tard (jusque-là, on la devine uniquement à son apparent don d’ubiquité lorsque sa silhouette apparaît en ombre chinoise derrière différents endroits du décor, grâce à la complicité d’un autre chanteur, Evan Hughes, qui interprète quelques-unes de ses répliques). Surtout, le choix d’un timbre plus clair qu’à l’ordinaire prive cette figure surhumaine de son aura maléfique, que seule une authentique basse semble à même de créer. Révélée par The Indian Queen montée par Peter Sellars, Julia Bullock est une Ann Trulove que la mise en scène montre à plusieurs moments non prévus par le scénario, chaque fois que Tom repense à celle qu’il néglige. La voix possède une belle assise dans le grave et est capable de darder de clairs aigus , mais ne communique pas toujours toute l’émotion qu’on pourrait souhaiter. Confier Baba à une voix masculine est une tentation compréhensible à notre époque où les contre-ténors ont le vent en poupe ; malgré son abattage scénique, Andrew Watts ne peut vocalement refléter les diverses facettes d’un personnage qui se révèle moins caricatural lors de son dialogue avec Ann. Les personnages secondaires ont davantage le profil attendu : Sellem agité d’Alan Oke, Trulove moralisateur de David Pittsinger, Mother Goose majestueuse de Hilary Summers.
En fosse, l’Orchestre de Paris distille savamment les sonorités néo-classiques voulues par Stravinsky, avec de fort belles interventions des vents, entre autres. Remplaçant Daniel Harding blessé au poignet, Eivind Gullberg Jensen dirige avec netteté une partition qu’il connaît bien, mais dont la force théâtrale n’éclate pourtant pas autant qu’elle le pourrait, malgré la belle prestation par ailleurs des English Voices. (Diffusion sur France Musique le 7 juillet, sur Arte Concert le 11 juillet, et ultérieurement sur France 2).