Nos amis anglais ont inventé un magnifique prétexte pour se prélasser au soleil en sirotant un verre de pim’s : c’est l’opéra. Garsington – sans doute encore plus que Glyndebourne, un poil plus continental – apparaît comme un de ces zéniths de la civilisation britannique où le spectacle musical est une excuse pour un spectacle plus grand encore, celui des canotiers, des vestes de smoking blanches et des nappes en tartan. C’est lovely.
Lovely : on serait tenté d’appliquer la même épithète à la mise en scène soignée de Louisa Muller et aux décors et costumes charmants de Christopher Oram. Dans un intérieur victorien aux grandes fenêtres rouillées, un piano à queue, un écritoire, un cheval à bascule. On peine à y voir davantage qu’une maison de poupées habilement dessinée et l’on guette un peu vainement le moment où l’illustration cèdera sa place à la suggestion. Une gouvernante qui joue à la gouvernante, des fantômes qui jouent aux fantômes (maquillages de méchants et regards exorbités en supplément) : tout cela est fort plaisant à suivre mais ne dépasse guère le stade d’une Mary Poppins légèrement dark, loin de l’ambiguïté poisseuse permise par le texte de James. Il faut avouer que la metteuse en scène américaine n’est pas aidée par la configuration du théâtre champêtre de Garsington, qui laisse poindre la lumière du jour pendant les trois quarts de la représentation. Le Tour d’écrou a besoin d’une nuit noire.
© Julian Guidera
Ce théâtre n’a pourtant pas que des désavantages, à commencer par une acoustique qui flatte étonnamment orchestre et solistes. Impeccables sont les 13 instrumentistes du Philharmonia Orchestra dirigés par Mark Wigglesworth, qui déploie à partir du complexe tissu orchestral de Britten un sens captivant du récit. Verity Wingate campe une convaincante gouvernante ; son timbre fruité s’épanouit sans doute plus en première partie que dans la montée d’anxiété du II. Le très pearsien Robert Murray a ce qu’il faut de clarté et d’étrange autorité dans la voix pour composer précisément les deux personnages qui lui reviennent. C’est un ténor de grande classe. Helena Dix excède quelque peu, de ses très larges moyens, la tonalité générale de la distribution et sa Miss Jessel est trop unilatéralement grinçante. Finalement, les leçons de musique sont surtout à trouver chez les cadets et chez l’aînée. Aussi à l’aise sur scène que si ils avaient fait ça toute leur vie, Ben Fletcher et Maia Greaves sont surtout de merveilleux jeunes musiciens. L’un et l’autre se jouent d’une partition qui ne fait pas franchement de cadeaux aux enfants. Bonheur enfin d’entendre à nouveau la formidable Susan Bickley, mezzo haendelienne aimée des happy few, qui donne une épaisseur singulière – en même temps qu’un impact vocal peu commun – à Mrs Grose.