Giuseppe Verdi (1813-1901)
Nabucco
Drame lyrique en 4 actes créé le 9 mars 1842 au Teatro alla Scala (Milan)
Livret de Temistocle Solera
Mise en scène, Daniele Abbado
Décors et costumes, Luigi Perego
Assistant metteur en scène, Boris Stetka
Lumières, Valerio Alfieri
Nabucodonosor, Anthony Michaels-Moore
Ismaele, Mickael Spadacini
Zaccaria, Luciano Montanaro
Abigaille, Dimitra Theodossiou
Fenena, Daniela Innamorati
Abdallo, Francesco Piccoli
Anna, Anna Maria Assunta Sartori
Orchestre et choeur du Teatro Regio di Parma
Direction musicale, Michele Mariotti
Chef de chœur, Martino Faggiani
Festival Verdi, Teatro Municipale Valli di Reggio Emilia, le 18 octobre 2008
Theodossiou en France ! Nous le valons bien !
Après une Giovanna d’Arco bien aride vocalement, on est heureux de trouver un havre plus hospitalier dans les terres de Reggio Emilia pour la suite de ce Festival Verdi 2008. Non pas que le spectacle fût parfait, mais on aura vogué à des hauteurs plus enchanteresses, musicalement en tout cas, l’aspect visuel n’étant pas le point fort !
Daniele Abbabdo n’a pas cherché l’originalité dans cette production simplement toilettée pour les besoins du festival Verdi. Le dispositif scénique se compose d’un mur qui barre la scène (sorte de mur des lamentations), qui pivote au gré des scènes et s’ouvre parfois pour laisser entrer les protagonistes. Individuellement, les poses statiques sont de mise, même si certains chanteurs, comme Dimitra Theodossiou et surtout Anthony Michaels Moore, parviennent à transcender cette relative platitude.
Mais l’élément disqualifiant de cette production viendra pour une fois des costumes. Passons sur ceux « traditionnels » des protagonistes principaux pas toujours seyants, pour nous concentrer sur la tenue des chœurs : le metteur en scène et son costumier ont opté pour des habits contemporains, costumes sombres, kippas et chapeaux pour les hommes, robes noires pour les femmes. Mais pourquoi avoir choisi des costumes uniques pour tous les chœurs et figurants, qu’ils soient juifs opprimés … ou babyloniens ? Il en résulte des incohérences flagrantes, Nabucco débarquant avec des guerriers « juifs » et pillant le temple avec ces mêmes « juifs » devant le regard terrorisé des « autres juifs »… C’est à ne rien y comprendre et la lisibilité du récit en prend un sacré coup !
Les bonheurs de la soirée étaient heureusement à trouver ailleurs.
Tout d’abord dans la fosse : le jeune chef (29 ans) Michele Mariotti, loin de se contenter d’« exécuter » cette partition que d’aucuns considèrent comme uniformément pompeuse, en fait une relecture très personnelle et met en exergue les arêtes et les nuances. Le chef fait ressortir des détails orchestraux (notamment les vents) et use avec intelligence de rubato pour mieux accompagner les chanteurs. Cette direction fort atypique peut étonner, mais elle a l’immense mérite de renouveler l’écoute d’une partition rebattue.
On adressera également des lauriers au chœur évidemment très sollicité dans l’œuvre. Lui aussi ose la nuance, les piani dans le célébrissime « Va pensiero », le chuchotement hargneux à l’encore du traître Ismaël dans « Il maledetto non ha fratelli »… C’est intelligemment réalisé et superbement chanté.
En plus d’excellents chœurs, Nabucco exige des interprètes de grand format… et ici le bilan est nuancé…
On a la chance ce soir d’entendre la grecque Dimitra Theodossiou, très présente sur les scènes italiennes, plutôt dans le répertoire belcantiste romantique. D’Abigaille elle possède le timbre étrange et glacial, d’un beau métal très prenant (qui fait par moment penser à La Suliotis). Elle en possède également la virtuosité, toutes les notes sont là, jusqu’aux suraigus piani. Pour parfaire l’interprétation il faudrait un peu plus de hargne dans la cabalette « Salgo gia del trono aurato » et des suraigus émis en pleine voix plus percutants (ils bougent un peu). Mais lorsque l’écriture vocale se fait plus élégiaque (plus proche de l’écriture bel cantiste), l’interprète, sensible, emporte totalement l’adhésion. En témoigne un « Anch’io dischiuso un giorno » en apesanteur. Quand sera-t-elle enfin invitée à chanter en France ?
On aura trouvé également de grandes satisfactions auprès de son père. Evidemment, il manque aujourd’hui à Anthony Michael Moore le mordant du roi plein de morgue des premières scènes : il n’a plus l’émission arrogante, le tranchant du guerrier – mais les a-t-il jamais eus ? Cependant dès que le héros perd de sa superbe (après avoir été foudroyé par Dieu…) son personnage de père vaincu prend toute son ampleur : le timbre blanchi, la voix dont la chair semble avoir disparu sont au diapason du personnage, rendant l’incarnation bouleversante.
Les autres prestations vocales n’auront pas autant enthousiasmé : Luciano Montanaro initialement distribué en grand prêtre de Baal s’était vu catapulté en Zaccaria du fait du forfait de Carlo Colombara. Le chanteur ne manque pas d’aplomb vocal, la tessiture est maîtrisée, les aigus sont puissants et clairs (les extrêmes graves manquant pour leur part de projection). Mais le timbre est peu séduisant et surtout le style un rien frustre (nuances et surtout legato sont aux abonnés absents).
On pourra malheureusement faire le même type de remarques pour Fenena, Daniela Innamorati, et son amant Ismaël, Mickael Spadacini. Les deux chanteurs disposent d’un volume sonore plus que confortable qui leur donne du relief dans les ensembles… Ils ont malheureusement tendance à en abuser, au détriment de la ligne. C’est particulièrement sensible dans les aigus, qui ne semblent vouloir sortir qu’en force.
En tout état de cause, assister à une représentation de Nabucco en Italie est une expérience unique : il faut voir la réaction d’un public enthousiaste totalement conquis d’avance, réclamant à corps et à cris un bis du « Va pensiero » (sans toutefois l’obtenir). Alors quand en plus les oreilles sont plutôt à la fête…
Antoine Brunetto