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THOMAS, Psyché – Budapest

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Spectacle
20 février 2025
Psyché ressuscité

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra-comique en trois actes d’Ambroise Thomas sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré, créé à l’Opéra-Comique le 26 janvier 1857 et révisé en opéra en quatre actes en 1878

Détails

Psyché
Hélène Guilmette
Éros
Antoinette Dennefeld
Mercure
Tassis Christoyannis
Dafné / Première Nymphe / Un écho
Mercedes Arcuri
Bérénice / Deuxième Nymphe
Anna Dowsley
Antinoüs / Un garçon
Artavazd Sargsyan
Gorgias
Philippe Estèphe
Le Roi
Christian Helmer

Orchestre national philharmonique de Hongrie
Chœur national de Hongrie

Direction musicale
György Vashegyi
Chef de chœur
Csaba Somos

Müpa, Budapest, 12 février 2025, 19h

Le nom d’Ambroise Thomas est surtout rattaché à deux de ses œuvres de maturité : Mignon et Hamlet. Véritables tubes, repris à de multiples reprises au XIXe siècle et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le succès de ces œuvres s’est ensuite franchement émoussé et Thomas n’a plus été associé qu’à un académisme jugé pesant. Hamlet a fait un retour notable sur les scènes lyriques ces dernières décennies et a presque fini par s’imposer comme un pilier du répertoire. Cependant, Thomas a composé beaucoup d’œuvres avant ce Grand Opéra, surtout des opéras-comiques, dont le plus connu, après Mignon, reste Le Songe d’une nuit d’été, délicieux petit bijou qui raconte une romance imaginaire entre Shakespeare et Élisabeth Ire.

Psyché, créé le 1857 à l’Opéra-Comique, fut l’un des grands succès du compositeur dans ce genre typiquement français (même Berlioz en a vanté les mérites dans la presse !). En 1878, Thomas en proposa une nouvelle version en quatre actes, troquant les dialogues parlés pour des récitatifs et opérant plusieurs coupes et modifications significatives. Tout ce qui relevait de la veine comique, alors moins prisée, fut éliminé – alors même que ces scènes de demi-caractère constituaient tout le sel de la première version. Alexandre Dratwicki, directeur artistique du Palazzetto Bru Zane, a donc choisi de présenter la version originale avec dialogues, mais avec quelques-uns des ajouts de la deuxième version, notamment deux airs supplémentaires pour Psyché et la transposition du rôle de Mercure pour baryton aigu et vocalisant.

Jusqu’à présent, on ne pouvait entendre des fragments de cette partition que via l’enregistrement d’une partie du deuxième acte sur le précieux blog de David Le Marrec ou via une plage de l’album « Oh boy! » de Marianne Crebassa. Rappelons que cette résurrection de l’œuvre aurait dû avoir lieu en 2020, avec dans le rôle-titre Jodie Devos, dont on pleure encore la disparition. On ne peut s’empêcher pendant la soirée de songer à celle qui fut une Ophélie et une Philine si idéales…

Disons-le sans détour : Psyché est une véritable merveille. Comment expliquer que l’œuvre soit restée oubliée depuis le XIXe siècle ? L’intrigue en est simple et reprend dans les grandes lignes le mythe antique, en ajoutant des éléments de comédie qui colorent l’action d’une mélancolie singulière. Éros s’éprend de Psyché, seule mortelle qui puisse rivalité en beauté avec sa mère Vénus. Mercure est chargé par la déesse de rompre ce lien et de perdre Psyché, en imposant à Éros de ne pas se montrer à son amante. Mais Psyché, influencée par Mercure, transgresse l’interdit en observant Éros dans son sommeil et meurt. Les sœurs de Psyché, lointaines cousines des belles-sœurs de Cendrillon, et deux prétendants grotesques, Antinoüs et Gorgias, complètent la nomenclature des personnages. Finalement, l’action s’achève sur un lieto fine, Jupiter accordant à Éros et Psyché de vivre leur amour au grand jour.

Sur ce livret de Jules Barbier et Michel Carré, qui relit le mythe antique avec beaucoup de malice, Ambroise Thomas compose une musique très hétéroclite, mais toujours pleine de charmes. L’unité stylistique semble être le dernier des soucis du compositeur, qui ne se refuse rien et offre aux auditeurs des mélodies savoureuses et des morceaux qui relèvent de genres très différents, avec une inspiration toujours soutenue. On entend du Rossini dans des airs vocalisants, du Meyerbeer ou du Halévy dans des scènes d’ensemble, du Auber ou du Offenbach dans des duos bouffes, du Gounod dans certains passages lyriques… Psyché apparaît comme un vaste catalogue de la production lyrique française et italienne de la première moitié du XIXe siècle (anticipant même des œuvres ultérieures !), où Ambroise Thomas montre tout son savoir-faire et son talent, sans jamais perdre de vue l’adéquation entre le drame et la musique.

Après une ouverture contrastée et un hymne à Vénus plaintif, Psyché chante un air accompagné délicatement par des arpèges de pizzicatos de cordes et une flûte gracieuse. L’entrée d’Éros, avec chœur à bouche fermée, est particulièrement réussie, plongeant la scène dans une atmosphère onirique. Le premier acte s’achève sur une tempête et un ensemble de stupeur qui rappellent l’opéra italien ou les finales endiablés de La Juive d’Halévy.

Après un solo de trompette mélancolique, Éros se voit attribué au deuxième acte une cavatine suivie d’une cabalette avec chœur, dans la plus pure tradition belcantiste. Mercure évoque ensuite dans un air savoureux la colère de Vénus qui ne pensait pas « avoir un si grand garçon » et devenir si vite « grand-mère », avant que les amants se réunissent dans un des sommets de l’œuvre, un duo d’amour où le violon solo porte l’élan amoureux des personnages. Le deuxième acte se poursuit avec un chœur sur tempo de valse et une chanson à boire de Mercure, dans la plus pure tradition du Grand Opéra ; il s’achève avec une romance d’Éros, qu’il chante pour trouver le sommeil, et une scène où Psyché se retrouve seule, avec des éclats brefs de harpe dans les aigus, répondant à l’angoisse du personnage.

Le dernier acte s’ouvre sur un chœur qui semble réunir Verdi et Bach (!), avant le duo du philtre, durant lequel Antinoüs et Gorgias absorbent une potion d’oubli : il vieillissent instantanément (le contrebasson souligne avec taquinerie leur démarche de vieillard) et oublient jusqu’à leurs noms. Cette scène burlesque donnent par contraste une teinte encore plus tragique à la mort de Psyché, qui expire, comme Ruy Blas, sur un « merci » déchirant. Mais tout est bien qui finit bien : après avoir déchaîné sa colère dans des imprécations à la ligne escarpée, Éros obtient de Jupiter la résurrection de Psyché.

L’ensemble de la distribution réunie pour cette version de concert porte avec bonheur cette merveilleuse partition. D’abord, Hélène Guilmette est une Psyché frémissante et pénétrée. La voix a ce qu’il faut de fraîcheur et de densité pour permettre à la chanteuse de rendre toutes les facettes de ce personnage de jeune première accablée par un destin tragique. Quelques aigus sonnent un peu tirés, mais ces fragilités ne font que renforcer l’émotion puissante qui se dégage de son interprétation, poignante jusqu’aux larmes versées à la fin du deuxième acte et qui touchent en plein cœur.

Dans le rôle vertigineux d’Éros, qui demande à la fois une agilité ébouriffante et une puissance dramatique assurée dans les imprécations finales, Antoinette Dennefeld trouve un rôle à la mesure de ses moyens exceptionnels. La voix est d’une étoffe somptueuse et sa technique assurée permet à la chanteuse de ne jamais rater sa cible. L’air redoutable qui ouvre le deuxième acte, avec une cabalette accompagnée par le chœur, est particulièrement réussi, tout comme ses imprécations, qui foudroient par des graves profonds et des aigus dardés. Notons que les scènes parlées entre les deux chanteuses sont de véritables moments de théâtre. 

Dans le rôle de Mercure, Tassis Christoyannis prend un malin plaisir à jouer toutes les facettes de ce dieu malicieux, voire démoniaque. Il plie son timbre charnu et sa diction incisive à des intentions très diverses avec une maestria caméléonesque, passant du bouffon à la vipère avec une délectation manifeste. Même lorsqu’il ne chante pas, on voit combien il est habité par cette musique, qu’il défend avec conviction, grâce et sensibilité.

Le quatuor de personnages bouffes est composé du côté féminin par Mercedes Arcuri, soprano au timbre plein de charme, et Anna Dowsley, mezzo au tempérament affirmée et à la voix capiteuse. Le duo masculin composé par Artavazd Sargsyan et Philippe Esthèphe est un plaisir de tous les instants : la voix moelleuse du ténor se marie avec bonheur avec la voix franche du baryton. Leur diction impeccable et leur engagement dramatique donnent au duo du philtre une saveur exquise.

On est presque désespéré de ne pas plus entendre Christian Helmer, qui ouvre l’œuvre par un récit plein de mordant et disparaît ensuite pour ne réapparaître que dans le final de l’opéra, délicieusement grandiose. 

À la tête d’un Orchestre national philharmonique de Hongrie enthousiaste et appliqué, György Vashegyi révèle toutes les facettes de la partition, avec beaucoup de probité. Sans geste pesant, sans pompe excessive, il expose la saveur particulière de cette partition, pleine de raffinement et d’élégance. À peine pourrait-on regretter un manque de tuilage répété entre les dialogues et les numéros musicaux, mais ces silences sont peut-être ménagés pour les ingénieurs du son qui régleront la gravure de cette soirée sur CD.

Le Chœur national de Hongrie est souvent sollicité dans l’œuvre et on reste admiratif devant une telle homogénéité de timbre et une diction si nette du français. Cela dénote l’intérêt que portent ces musiciens hongrois – les choristes, les instrumentistes et leur chef – pour la musique française : la collaboration avec le Palazzeto Bru Zane devrait d’ailleurs se poursuivre et conduire à la récréation d’autres œuvres rares dans les années à venir. En attendant que Psyché retrouve le chemin de la scène – c’est une œuvre qui offrirait de nombreuses possibilités scéniques – on se délectera de tous les bijoux offert par Thomas lors de la parution prochaine du CD dans la si précieuse collection « Opéras français »…

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Éros
Antoinette Dennefeld
Mercure
Tassis Christoyannis
Dafné / Première Nymphe / Un écho
Mercedes Arcuri
Bérénice / Deuxième Nymphe
Anna Dowsley
Antinoüs / Un garçon
Artavazd Sargsyan
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Le Roi
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