La saison d’opéra 2012/2013 du Staatsoper de Berlin s’ouvre sur une 166e représentation de Tosca dans une mise en scène de 1976. Il s’agit incontestablement d’une lecture classique de l’œuvre au point d’en faire une image d’Epinal.
Les décors reconstituent fidèlement les lieux romains où se déroulent les trois actes de ce drame : l’église Saint Andréa della Valle devant la chapelle privée des Attavanti, puis une salle du palais Farnèse et enfin une partie crénelée sur le toit du château Saint Ange. Leur exécution soignée et le respect d’un style italien de l’époque leur a fait passer les années sans prendre une ride. Les costumes sont de parfaites répliques de ceux portés par les personnages des tableaux de David pour le sacre de Napoléon, les étoffes sont théâtrales : manteau de taffetas blanc, robe en velours cramoisi, habit rebrodé d’or… En revanche il ne faut s’attendre à aucune surprise scénique dès le rideau levé. Le ton est donné et toute l’attention se porte désormais sur l’exécution musicale.
Julien Salemkour conduit son orchestre avec une certaine lenteur mais ne lésine pas sur la puissance. C’est une œuvre qui fait du bruit, on ne risque pas l’assoupissement. Sous sa baguette les chanteurs n’ont droit à aucune baisse de régime, au risque d’être submergés. Mais de ce côté pas de danger car l’ensemble du plateau est particulièrement en voix. Oksana Dyka interprète le rôle de Floria Tosca d’une voix insolente de santé. Son instrument vocal, rompu aux rôles verdiens, est remarquable de projection et de puissance et cela sans effort apparent. Son “ Vissi d’arte ” est un moment de grand chant. Malheureusement, ce potentiel est bridé par un jeu décevant. Sa palette d’expressions passablement réduite est utilisée à contre temps : boudeuse alors qu’elle se dit jalouse – on retiendra cependant un lancer d’éventail très réussi ! -, rêveuse et mélancolique dans son face à face avec Scarpia, carrément ennuyée lors de ses retrouvailles avec Caravadossi sur son lieu d’exécution. Il faut dire que ce dernier (Neil Shicoff) nous gratifie d’un spectacle inoubliable pour lequel le public est partagé. Chanteur à la carrière internationale impressionnante, Neil Shicoff nous lance ses derniers feux. Ses aigus surpuissants et brillants – à faire pâlir de jeunes ténors qui embrassent la carrière – sont d’autant plus remarquables qu’ils sont suspendus à un orchestre complaisant qui ralentit son tempo pour l’occasion, mais ils ne semblent pas toujours ravir sa partenaire lorsqu’ils sont émis à quelques centimètres de ses oreilles. Par ailleurs, les efforts consentis pour sortir ces contre-ut étincelants se payent au prix fort : son médium, parfois à la limite de la justesse, laisse apparaître un léger vibrato, ses attaques sont souvent accompagnées de coups de glotte, son jeu suranné ôte toute crédibilité au personnage. Peu de nuance également dans son interprétation car le placement de sa voix et la technique de projection très appuyée qui l’accompagne rendent sa voix extrêmement sonore sur toute la ligne de chant.
En comparaison le baron Scarpia de Thomas J. Mayer fait bien pâle figure. Sa voix souvent nettement moins bien placée que celle de ses deux comparses ne donne pas au personnage le caractère machiavélique et dominateur auquel on s’attend. Paradoxalement, son jeu de scène, par sa justesse et son naturel, rachète sa faiblesse d’émission. Michael Kraus est un sacristain idéal, vocalement et scéniquement à la hauteur d’une grande maison d’opéra. L’Angelotti de Arttu Kataja n’est pas de ceux qu’on retient, sa courte présence sur scène ne laisse pas la place à la détresse qui est sensée l’habiter. Les rôles de Spoletta, de Sciarrone et du geôlier, respectivement joués par Paul O’Neill, James Homann et Alin Anca sont tenus honorablement dans cette production qui les confine à l’arrière de la scène.
Version recommandée :
Puccini: Tosca | Giacomo Puccini par Dietrich Fischer-Dieskau