Pour son spectacle de fin d’année, l’Opéra national du Rhin propose la version française de Fiddler on the Roof, comédie musicale initialement produite à New York en 1964, puis adaptée au cinéma en 1971 par Norman Jewison. Un violon sur le toit est le résultat d’une collaboration avec le Komische Oper Berlin, où l’on avait pu découvrir ce beau spectacle (en allemand) l’année passée. C’est donc en français et avec une autre distribution que le musical est repris à Strasbourg, l’occasion de se familiariser avec le petit monde du shtetl Anatevka, autour du laitier Tevye, dont on ne connaît souvent que le fameux air « Ah si j’étais riche ».
Puisqu’il s’agit avant tout d’un théâtre musical, c’est le décor de Rufus Didwiszus et la mise en scène de Barrie Kosky qui interpellent de prime abord. Et pour ces deux aspects, le spectacle est une réussite éclatante. Le travail sur le décor est particulièrement intéressant : Barrie Kosky ne souhaitait pas montrer un shtetl proche des visions de Chagall ou des scènes de village caricaturales du Bal des vampires, mais voulait quelque chose de plus intemporel qui résonne en tout un chacun. Et de fait, le décor consiste essentiellement en armoires empilées qui habillent l’espace et servent tour à tour de lits ou de maisons, les battants utilisés pour les entrées et les sorties. Le résultat est du plus bel effet mais ce qui pourrait tourner au vaudeville avec des portes qui claquent se teinte de nostalgie et de mélancolie pour ensuite tendre vers l’intemporel, notamment vers la fin où la neige tombe drue et sans discontinuer sur un plateau nu. Au rejet des traditions des filles de Tevye qui aiment selon leur cœur plutôt que de céder aux alliances imposées par la marieuse Yente, aux tensions entre la communauté juive et les goys russes, aux pogroms qui s’annoncent et contraignent nos héros à l’exil s’ajoutent des dialogues teintés d’ironie et d’humour noir qui masquent à peine le désespoir sous-jacent à l’intrigue. Le metteur en scène australien sait de quoi il parle, son grand-père ayant fui un shtetl en 1905. Et pourtant, le sens de la fête, la gaieté de la musique et la force de vie sont constamment présentes. Difficile de résister, en particulier, aux accents klezmer de la tradition musicale yiddish qui contribuent à énergiser ce spectacle de trois heures où l’on ne s’ennuie pas une seconde. Il faut notamment saluer le travail remarquable du chorégraphe Otto Pichler et des merveilleux danseurs qui ont rencontré un succès mérité au cours de la première.
© Klara Beck
Du côté des voix, il faut s’habituer à la sonorisation, quasi systématiquement de mise pour les comédies musicales, et surtout prendre en considération le fait que la pièce a été écrite pour des comédiens chanteurs et non l’inverse. Oublions donc momentanément le Tevye d’Ivan Rebroff ou encore celui de Bryn Terfel qui s’en donnait à cœur joie à Baden-Baden dans un « If I were a Rich Man » d’anthologie pour écouter Olivier Breitman, magnifique comédien dont la voix bien timbrée met en valeur ses monologues ou plutôt ses conversations avec l’Éternel. Son épouse Golde, maîtresse femme dont la lassitude cache une force et un courage intacts est magistralement interprétée par Jasmine Roy. Les trois filles à marier se complètent avec grâce et Neïma Naouri (fille de Natalie Dessay) affiche une belle maturité fièrement acquise dans le rôle de Tzeitel, secondée par une vaillante Hodel (Marie Oppert) et une très touchante Chava (Anaïs Yvoz). Les maris tirent aussi leur épingle du jeu, en particulier le doux rêveur qu’est le tailleur Motel Kamzoil dont le rôle va comme un gant à Alexandre Faitrouni, sans oublier le volontaire voire exalté Perchik habité par Sinan Bertrand, ou encore le serein mais volontaire Lazar Wolf (Denis Mignien). Tous les autres soutiennent bravement les rôles principaux, avec une mention spéciale pour la formidable marieuse Yente (Cathy Bernecker). Les chœurs, quant à eux, sont à leur meilleur, très à l’aise également dans le jeu théâtral et l’occupation de l’espace, tout comme dans les chorégraphies. Ils savent décidément tout faire…
L’Orchestre symphonique de Mulhouse semble se régaler des sonorités d’Europe centrale et le plaisir de jouer qui émane de la fosse provoque de furieuses envies de gigoter chez les spectateurs. Nul doute que le chef Koen Schoots y ait également trouvé son compte.