On tient sans conteste avec ce Torvaldo e Dorliska le spectacle le plus excitant du Festival de Pesaro 2017, avec mise en scène, direction et chant au diapason, permettant à la mécanique de précision rossinienne de fonctionner à plein régime : une réussite qui surpasse au plan vocal l’équipe réunie lors de la création de la production de Mario Martone dans ces lieux en 2006 (et préservée au disque avec entres autres Michele Pertusi, Darina Takova, Francesco Meli et Bruno Pratico).
L’œuvre dite de sauvetage (les amants seront sauvés in-extremis d’une mort promise) est plutôt atypique dans le corpus rossinien, conjuguant une intrigue sombre (le Comte Ordow est prêt à tout, et même au meurtre, pour obtenir la main de Dorliska, épouse de Torvaldo) et des personnages comiques, Giorgio, le gardien du château et sa sœur Carlotta (voir ici pour plus de détails sur l’intrigue et l’œuvre). Ce genre semiserio trouvera son plein accomplissement avec La Gazza ladra en 1817.
Le dispositif scénique imaginé par Sergio Tramonti s’adapte intelligemment au lieu : sur scène, une haute grille sépare la forêt (en fond de scène) de la cour du Duc Ordow. Le spectateur est donc dans le château et au cœur de l’action, les personnages arrivant parfois du fond du parterre, ou de loges de côté par des escaliers qui se déploient. Les costumes semblent tout droit sortis du Moyen Age. La direction d’acteurs, plutôt classique, est bien caractérisée, permettant à la production de maintenir la tension jusqu’au happy end final.
© Studio Amati Bacciardi
La direction de Francesco Lanzillotta à la tête de l’Orchestra Filarmonica Gioachino Rossini rend justice à cette partition oscillant entre le drame et le burlesque, n’était un aspect parfois brouillon des ensembles rapides.
Les rôles titres sont bien appariés, plus à leur aise que les protagonistes de la création en 2006, Darina Takova et Francesco Meli. Salome Jicia (Dorliska) semble avoir pris de l’assurance depuis les représentations de La Donna del Lago l’an passé : la voix est puissante, bien projetée du bas en haut de la tessiture et la chanteuse varie intelligemment les reprises. Certes son timbre plutôt mat ne plaira pas à tous, mais elle n’en propose pas moins une Dorliska intense et émouvante. Son Torvaldo (Dmitry Korchak) a gardé de ses débuts à Pesaro il y a un peu plus de dix ans une voix plutôt claire mais qui a gagné en volume. Surtout, loin de se contenter d’un chant en force, il nuance son émission et assume crânement un rôle très tendu écrit pour Nozzari.
Le noir Comte Ordow trouve en Nicola Alaimo une saisissante incarnation. On pouvait s’interroger sur le choix d’un baryton pour ce rôle créé pour la basse Filippo Galli. Or ici, contrairement à la Pietra del Paragone la veille (écrite pour le même chanteur), le challenge s’avère parfaitement rempli : la moirure sombre du timbre et la grande personnalité du chanteur, tour à tour monstre sanguinaire capable d’éclats crucifiants ou amoureux éperdu d’une douceur caressante, parviennent à faire vivre tous les facettes de ce personnage complexe, ancêtre de Scarpia. La réussite est également vocale avec un chant nourri à la grammaire rossinienne.
Le couple de domestiques est également très bien chantant. Carlo Lepore (Giorgio) est un habitué des rôles rossiniens et cela s’entend par son apparente facilité dans le chant syllabique rapide. Sa sœur (Raffaella Lupinacci), remporte également un grand succès dans son air. S’il fallait nuancer cette réussite, ce serait pour noter que les interprètes ont tendance à atténuer le côté bouffe de ces personnages, effaçant du coup le caractère semiserio de l’œuvre.