Giacomo Puccini (1858 – 1924)
Tosca
Opéra en trois actes.
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après la pièce éponyme de Victorien Sardou.
Créé le 14 janvier 1900 à Rome au Teatro Costanzi.
Mise en scène et lumières, Anthony Pilavachi
Décors, Markus Meyer
Costumes, Pierre Albert
Assistant mise en scène, Clovis Bonnaud
Floria Tosca, Catherine Naglestad
Mario Cavaradossi, Alfred Kim
Scarpia, Jean-Philippe Lafont
Cesare Angelotti, Yuri Kissin
Un sacristain, Jean-Philippe Marlière
Spoletta, Antoine Normand
Sciarrone, David Ortega
Un geolier, Loïck Cassin
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux
Maîtrise du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud
Direction musicale, Kwamé Ryan
Bordeaux, Grand Théâtre, le 30 janvier 2009, 20 heures
Tosca fait son cinéma.
Mettre les opéras d’hier à la portée des spectateurs d’aujourd’hui. Dans cette quête de sens, les metteurs en scène recourent de plus en plus aux mythes du XXe siècle. C’est ainsi qu’on a pu voir dernièrement une Traviata emprunter la petite robe noire d’Edith Piaf, King Kong et Marylin participer à L’affaire Makropoulos et, en ce moment, sur la scène du Grand Théâtre de Bordeaux, une Floria Tosca inspirée par Greta Garbo faire son entrée dans la chapelle de Sant’Andrea della Valle sous les flashs des paparazzi. Le procédé n’est pas plus dérangeant qu’un autre à condition de ne pas aller à l’encontre de l’œuvre.
Le travail d’Anthony Pilavachi, justement, respecte à la virgule près ou presque, la dramaturgie imposée par la partition et le livret de Tosca, avec, soit dit en passant, une marge de manœuvre limitée tant tout y est écrit et décrit plus que dans tout autre opéra. Transposition de l’ouvrage de Puccini à l’âge d’or d’Hollywood et de Cinecittà, oui mais pas seulement car le metteur en scène, pour appuyer sa démonstration, n’hésite pas à brouiller les époques : utiliser par exemple une télécommande électronique pour ouvrir et fermer les portes du palais Farnese ou, au 3e acte, habiller Mario de la salopette orange des prisonniers de Guantánamo. Le tout sans lourdeur car d’une manière suffisamment fluide pour que l’attention reste portée sur la psychologie des personnages, avec en prime quelques effets bien trouvés : le Te Deum enflammé au I, le sofa au II qui délimite le terrain de combat entre Tosca et Scarpia… Seul contresens : l’invasion de la plate-forme du Château Saint-Ange par quelques mondains (dont Spoletta), venus, coupe de champagne à la main, se régaler de l’exécution de Mario, comme on le faisait parait-il en Espagne à l’époque de Franco, leur présence du début à la fin de la scène rendant absurde les dernières répliques de Tosca « S’avviano, taci ! Vanno… » (Ils s’éloignent, pas un mot ! Ils s’en vont…).
Un tel parti-pris repose, aussi et surtout, sur la personnalité de ses interprètes, inconvénient qui peut devenir un avantage quand, comme ici, Floria Tosca est interprétée par Catherine Naglestad (dont le physique a d’ailleurs motivé la mise en scène d’Anthony Pilavachi). Scéniquement, l’osmose entre la femme fatale dessinée par la soprano américaine et la cantatrice imaginée par Puccini est totale. Vocalement, le portrait de sa Tosca parait moins absolu. Germanique car puissant, vertical (on songe parfois à Léonie Rysaneck), le medium impétueux et les aigus cinglants, il est celui de la tigresse qui se réalise dans la fureur du deuxième acte. Rien d’étonnant qu’après un tel combat, le duo du III la trouve à bout de vaillance et qu’auparavant, celui du I (« Non la sospiri la nostra casetta ») la présente sous un jour glacé qui a peu à voir avec la sensualité presque naïve dont fait alors preuve le personnage.
La même absence de latinité caractérise le Mario d’Alfred Kim, antihéros au chant probe (pas un seul sanglot n’écorche la ligne), à l’émission franche, suffisamment solide pour supporter les excès de l’écriture (les « Vittoria ! Vittoria ! » du II) mais dépourvu de pugnacité et de velours, de charme tout simplement.
Le Scarpia de Jean-Philippe Lafont s’inscrit plus dans la tradition, impressionnant, pervers, monstrueux, diseur autant que chanteur à la manière d’un Gobbi, sachant comme lui user de ses faiblesses pour accentuer la brutalité érotique du baron.
En second plan, plus que le Spoletta d’Antoine Normand (très avantagé par la mise en scène qui, à la fin de l’opéra, en fait le successeur de Scarpia) ou que l’Angelotti de Yuri Kissin (l’une des révélations lyriques des prochaines victoires de la Musique), se détache le sacristain de Jean-Philippe Marlière, d’une élégance bienvenue dans un rôle que l’usage tire trop souvent vers le ridicule.
La direction de Kwamé Ryan, attentive jusque dans les moindres détails, toujours présente mais jamais écrasante, suffirait à elle seule à faire le prix du spectacle. Dans une partition qui berça son enfance(1), le nouveau chef de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine sait d’une main souple être symphonique et lyrique à la fois. Selon les climats, les sonorités délicates ou, en accord avec la mise en scène, carrément hollywoodiennes qu’il obtient de l’orchestre et l’entente qu’il semble avoir établie avec ses musiciens (qui, fait suffisamment rare pour être cité, restent dans la fosse une fois le rideau tombé pour l’applaudir) laissent augurer des lendemains réjouissants.
Christophe Rizoud.
(1) Lire l’interview dans laquelle Kwamé Ryan raconte sa découverte de la musique en général et de Tosca en particulier.