Une version semi-scénique de Tosca : le terme mérite explication, nous y reviendrons. Auparavant, il est intéressant – et parfois émouvant – de voir au fur et à mesure de la représentation de l’opéra de Puccini les trois protagonistes prendre l’envergure de leur rôle. Chacun à sa manière. Sporadique pour Gregg Baker dont le Scarpia ne s’impose vraiment que dans la confrontation. La voix peut sembler en mal d’arête et de volume ce qui surprend compte tenu de la stature du baryton américain. Le délire érotique de « Tre sbirri… Una carrozza » se dissout dans la masse chorale et orchestrale. Les deux semblants d’air que sont « Tosca è un buon falco ! » et « Gia mi dicon venal » souffrent de plusieurs décalages. Mais le corps à corps du deuxième acte voit le loup enfin sortir du bois. Le loup ? Non, le lion. La force tranquille avec laquelle sont assénées certaines répliques est celle du roi des animaux.
Dire que son adversaire lui rend coup pour coup serait un euphémisme tant Olga Romanko met de cœur dans chaque intervention. Ce soprano russe, devenu spinto par tempérament plus que par nature, combat avec ses propres armes. Le timbre n’a pas le pouvoir de séduction qui chez d’autres est immédiat, le grave – souvent sollicité par la partition – manque d’impact mais le sens dramatique finit par rendre incontestable sa Tosca. Le phrasé, l’intonation, le geste aussi : le port de tête, fier, et dans le regard la flamme qui donne vie. Dieu sait pourtant si l’oreille, exercée par quelques interprétations légendaires, guette chaque tirade. Proféré ou murmuré, le mot frappe avec justesse.
A en juger au seul « Recondita armonia », privé d’exaltation amoureuse, on n’aurait pas donné cher du Mario Cavaradossi de Najmiddin Mavlyanov. Ce jeune ténor – « à tout chanter » si l’on en croit son CV : Alfredo (La Traviata), Edgardo (Lucia) mais aussi Don José (Carmen) et Manrico (Il Trovatore) – révèle cependant peu à peu des qualités qui retiennent l’attention. La vaillance d’abord avec au deuxième acte un « Vittoria » long et puissant à donner le frisson, puis un troisième acte en état de grâce. L’adieu à la vie est naturel, égal d’un bout à l’autre de la tessiture et le duo d’amour, habité, nuancé en totale osmose avec sa partenaire.
Quatrième protagoniste de l’opéra, l’orchestre, placé sous la direction de Maurizio Barbacini, fait également preuve d’éloquence. Peut-on lui reprocher d’être parfois trop envahissant quand c’est à lui que Puccini donne le plus à exprimer ? Le Chœur en revanche occupe une place mineure dans Tosca mais un « Te Deum » vibrant rappelle la qualité du Koor – et pour l’occasion du Kinderkoor – van de Vlaamse Opera. Parmi les seconds rôles, peu avantagés également par la partition, seul Christopher Lemmings en Spoletta réussit à concilier exigences vocales et théâtrales.
Cette Tosca était donc proposée en version semi-scénique. Le terme est surprenant parce que, tout au long de la soirée, l’opéra de Puccini est représenté à part entière et parce que le nom d’un metteur en scène, Frans Willem de Haas, figure à l’affiche. Le décor, certes unique, est habilement renouvelé grâce à quelques accessoires et à un écran blanc utilisé pour projeter – un œil bleu, celui de l’Attavanti au premier acte – ou pour montrer par transparence – Angelotti au pied de la Vierge, Tosca chantant sa cantate. L’univers suggéré par les costumes est celui du film noir d’après-guerre, ce que confirment les photos à l’intérieur du programme : Lino Ventura, Alain Delon, Gene Tierney, Bette Davis et Marlène Dietrich dont Tosca, avec sa perruque blonde, ses pelisses, ses vestes cintrées et son béret sur la tête semble la réplique. Les mouvements sont réglés avec fluidité. Certaines attitudes peuvent apparaitre convenues, le troisième acte notamment est moins abouti que les précédents, mais rien d’indigne dans une œuvre qui offre de toute façon peu de prise à la digression. Alors, pourquoi cette étiquette un peu péjorative de « semi-scénique » ? En raison d’un nombre de répétitions moindre et d’un dispositif simplifié par rapport à d’habitude. Il est vrai que le Vlaamse Opera nous a habitué à davantage de fantaisie (le 2e acte de Tristan en ouverture de saison se passait dans les toilettes d’un cinéma louche) mais combien de théâtres moins scrupuleux ne nous offrent pas tant en nous promettant plus.