Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Teatro Carlo Felice a réservé une fête à l’enfant du Pays, Francesco Meli, pour ses débuts en Mario Cavaradossi. Le ténor qui devait effectuer sa première scénique à Londres aux côtés d’Angela Gheorghiu en janvier dernier, a préféré retarder l’échéance et assurait trois représentations génoises sur les quatre programmées. Et dès la première, l’accueil du public fut triomphal, « E lucevan le stelle » réclamé en bis. Ce sera le cas chaque soir.
Il y a pourtant d’autres qualités que celle de Francesco Meli sur la scène de cet opéra moderne (inauguré en 1991), à commencer par les chœurs, surtout celui des enfants, à faire pâlir bien des institutions lyriques de premier plan. Parfaitement en place, unis et sonores, les réjouissances dans l’église sont lumineuses, et le « Te Deum » majestueux. Confirmation au troisième acte, où le jeune Thomas Bianchi donne la plus belle chanson du berger que l’on ait entendue en direct. Satisfaction également avec le sacristain de Matteo Peirone, gouailleur et volubile, ainsi qu’avec l’Angelotti de Giovanni Battista Parodi. Forcement après ces premières scènes (on verra ce qu’il en est de « Recondita Armonia » plus loin), les espérances étaient grandes. Las, la messe n’était pas dite. En Tosca, Amarilli Nizza manque de legato et de volume. La soprano se sort du premier acte par un usage intelligent de ses moyens et de belles nuances. Elle ne peut plus faire illusion dans l’antre de Scarpia et c’est tout le deuxième acte qui pâtit du format vocal de ses interprètes, Angelo Veccia souffrant peu ou prou des mêmes défauts. Les sbires du tortionnaire ne brillent guère également.
Tosca ne supporte guère les transpostions. Aussi les metteurs en scène optent souvent soit pour la fidélité et l’opulence, soit pour une scénographie minimaliste où quelques éléments permettent d’évoquer Rome et le Premier Empire, notamment grâce aux costumes. Davide Livermore choisit cette deuxième option sans provoquer de grand frisson : un plateau tournant au décor unique vaguement agrémenté de quelques éléments supplémentaires (le tableau de l’Attavanti ; la table de Scarpia ; une statue du Castel Sant’Angelo) tourne et retourne. Le spectacle distille finalement l’ennui en plus d’être peu pratique pour les interprètes dont le jeu tombe bien souvent dans le stéréotype.
Le frisson nait bien davantage d’un orchestre mené de main de maître par Dimitri Jurowski. Lyrique souvent, le chef s’autorise de beaux ralentis en cours de phrase musicale en adéquation avec le moment théâtral. Surtout, il réussit à maintenir ses pupitres en état de nerf malgré des tempi relativement lents.
© Marcello Orselli
Enfin, le maestro suit pas à pas son plateau et notamment Francesco Meli qui galvanise la salle. Entré sur un « che fai ? » anodin, le génois va déployer des splendeurs vocales tout au long de la soirée, faire montre d’un volume et d’un souffle impressionnant, et enfin d’une intelligence musicale et théâtrale peu commune pour une prise de rôle. La voix a encore gagné en largeur depuis le son Carlo VII de Giovanna d’Arco à la Scala en décembre, tout en conservant un timbre pur et lumineux. « Recondita armonia » est un modèle de nuances et de couleurs, les « Vittoria! » du deuxième acte quasi wagnériens… et c’est surement l’ensemble de la prestation qui explique le « bis » réclamé pendant de longues minutes à l’issu de « E lucevan le stelle ». Certes en ce soir de dernière, la demande est surement moins spontanée, gonflée au chauvinisme régional, mais l’émotion et la joie du ténor n’en sont pas moins palpables.