Dans sa note d’intention, Louis Désiré, qui s’est vu confier la mise en scène, les décors et les costumes de cette nouvelle production, révèle que sa rencontre avec Tosca remonte à 1965. Censée prouver sa longue intimité avec l’œuvre, la confidence est à double-tranchant. On peut la lire en effet comme l’aveu involontaire qu’en cinquante ans il l’a faite sienne. Une volonté d’appropriation qui s’affirme dans l’abandon de données remontant à la création – ni flambeaux ni crucifix pour Scarpia, pas de peloton d’exécution pour Mario et pas de suicide de Tosca. Pourra-t-on objecter qu’il s’agit de détails ? Non, justement, car ces éléments ont une signification et une portée dramatique. Alors pourquoi les omettre ? Pourquoi ne pas les inclure dans « le pari d’une Tosca cinématographique » que revendique Louis Désiré ? Et qu’apporte à l’œuvre et au spectateur la fin choisie ? A ces interrogations sur la mise en scène viennent s’ajouter celles relatives aux décors et à la couleur noire dominante. Sans doute l’œil – une fois passée l’entrée d’Angelotti, qui se déroule dans la pénombre excessivement dense signée Patrick Méeüs – est satisfait des formes et des images qui lui sont montrées, à l’exception de la Marie-Madeleine géante qui semble préraphaélite avant l’heure et donne une mièvrerie saugrenue au pinceau de Cavaradossi. Mais le bureau de Scarpia semble bizarrement situé à l’extérieur du Palais Farnèse, et on a du mal à voir dans le même bloc rectangulaire la forme circulaire du Château Saint-Ange. A ces approximations s’ajoute quelque frustration en l’absence du cortège autour d’un cardinal qui fait d’ordinaire du Te Deum un tableau spectaculaire. Pas de dignitaires, pas de costumes somptueux. Louis Désiré habille Tosca de jaune doré aux deux premiers actes et pour la fuite programmée d’un ensemble blanc pour le moins incongru. Deux redingotes pour Scarpia, une pour Cavaradossi et la soutane pour le sacristain, comme pour les clercs, élèves et choristes de la chapelle. Cette sobriété est-elle un choix esthétique ou une contrainte économique ? Le doute est permis.
Spectacle séduisant donc mais frustrant par certains aspects, une impression qui va de pair avec celles que suscite la distribution. Ainsi, nous avons rarement entendu pâtre à la voix aussi « verte ». Si le Spoletta de Loïc Félix, qui chausse des lunettes pour mieux espionner, et le Sciarrone de Jean-Marie Delpas sont irréprochables, l’Angelotti d’Antoine Garcin tarde un peu à s’échauffer et sonne d’abord quelque peu engorgé, si ce n’est pas un effet destiné à exprimer l’épuisement du personnage. En revanche le Sacristain de Jacques Calatayud est bien en voix aussitôt. C’est aussi le cas de Giorgio Berrugi, Cavaradossi vaillant sans outrance et somme toute assez nuancé ; le timbre n’est pas de ceux qui « ravissent » immédiatement mais la tenue et le style sont d’un haut niveau de qualité et le matériau vocal assez riche pour soutenir victorieusement le rôle. La même qualité se retrouve chez le Scarpia de Carlos Almaguer, qui semble avoir atteint désormais une maîtrise de sa puissance vocale grâce à laquelle son personnage, sans atteindre à une subtilité idéale qui en exprimerait toute la complexité, triomphe néanmoins de l’écueil du monolithisme vocal et dramatique et délivre des « professions de foi » particulièrement réussies. Mais la déception principale tient à l’interprète du rôle-titre, dont les caractéristiques vocales ne nous ont pas convaincu. Déjà Aïda et Leonora à Marseille, Adina Aaron est toujours la même silhouette gracieuse, mais sa prestation vocale nous laisse sur notre faim. A côté d’un suraigu rarement libre et pas toujours juste, l’articulation de l’italien est parfois contaminée par les habitudes phonatoires d’une anglophone ; mais surtout la voix nous semble malheureusement dépourvue des harmoniques qui lui donneraient résonance et sensualité. Aussi au lieu de la féminité fragile et vibrante du personnage ressentons-nous une nervosité proche de l’hystérie. C’est plausible, mais beaucoup moins séduisant.
Tout ce plateau est conduit par Fabrizio Maria Carminati, premier chef invité de l’orchestre dont le contrat arrive à expiration. Y a-t-il corrélation ? Le chef nous est apparu plus que jamais investi et maître de la partition, et l’orchestre lui donne une réponse des plus satisfaisantes, qu’il s’agisse de dynamique, de cohésion, de contrôle d’intensité et de finition sonore. Peut-on parler d’émulation ? La même qualité se retrouve dans les interventions de la Maîtrise des Bouches-du Rhône et du chœur de la maison. Si bien que lorsque Tosca disparaît derrière le rideau de scène auquel elle se cramponnait – c’est ainsi qu’elle meurt –, en dépit des réticences à l’égard de la proposition de Louis Désiré, on n’éprouve pas d’amertume car on vient d’assister à une nouvelle confirmation de la progression de la qualité des forces propres à l’Opéra de Marseille et cela nous semble essentiel. Comme disait Laetitia : Pourvu que ça dure ! C’est tout le mal qu’on leur souhaite !