Rares sont les représentations de Tosca pleinement satisfaisantes. Si l’on regarde nos archives, on s’aperçoit que la note de 4 cœurs n’est pas fréquente. C’est qu’il faut surtout un parfait équilibre entre les trois protagonistes, et des chanteurs-acteurs qui aient des tripes et qui se donnent à fond. Aujourd’hui à Massy, aucune innovation, cette production de tournée de la compagnie espagnole Opéra 2001 (dont on avait apprécié La Flûte enchantée) reste dans la grande tradition et ne prétend pas constituer la représentation du siècle. Certains chanteurs sont parfois plantés là sans paraître très bien comprendre ce que leur dit leur partenaire, mais les principaux ingrédients sont présents, rendant crédible un argument archi rabâchée, ce qui fait que l’on passe au total une bonne soirée.
La représentation est dominée par le Scarpia de Paolo Ruggiero, un baryton dans la pleine force de ses moyens comme on n’en voit plus guère dans les grandes maisons d’opéra internationales, digne héritier des Cappuccilli, Bacquier et Massard. Scarpia est à son répertoire depuis une quinzaine d’années, et l’on doit admettre que sa formation de musicien, de danseur et d’acteur trouvent en ce personnage une parfaite synthèse. Sa voix puissante et sa technique vocale sont splendides, d’une parfaite égalité sur toute la tessiture, et sa stature et tenue en scène excellentes. Quant à la caractérisation du personnage, plus inquiétant par sa violence que par sa fourberie, elle est tout à fait convaincante, puisqu’il arrive à faire frissonner les spectateurs à plusieurs reprises, dont bien sûr lors de la fameuse entrée de la fin du premier acte.
David Baños (Cavaradossi) est moins à l’aise scéniquement, ayant du mal à insuffler à son personnage un véritable feu intérieur. Il paraît plus le simple jouet des événements, et une sorte de marionnette avec laquelle s’amuserait un peu trop Tosca. En revanche, vocalement parlant, il est tout à fait à l’aise, ayant la voix idéale du rôle, même s’il ne fait pas toutes les nuances voulues, et s’il a souvent tendance à ralentir en s’écoutant chanter et à perdre alors aussi bien la mesure qu’une parfaite justesse. Clarté de l’émission, puissance, il donne parfaitement les imprécations (très beau « Vittoria ! Vittoria ! ») du deuxième acte, et chante fort bien ses deux airs. Mais on s’ennuie un peu au second, manquant de cette intériorité qui fait les plus grands.
Crystelle Di Marco (Floria Tosca) © Opéra 2001
Chrystelle Di Marco (Tosca), quant à elle, interprète une cantatrice plus proche de Mademoiselle Lange de la Fille Angot que de Sarah Bernhardt et de Sardou ! Donc plutôt virago qu’amante jalouse, elle ne fait pas dans la dentelle, et si elle a la véhémence, elle manque quand même singulièrement de classe, avec parfois une attitude gauche et des gestes apprêtés et stéréotypés. Mais sa voix est tout à fait celle du rôle, puissante et riche d’harmoniques, avec seulement une petite faiblesse dans les graves, et une tendance à faire légèrement monter le son lorsqu’elle augmente la puissance. À noter qu’elle trucide Scarpia avec un petit couteau à bout rond, ce qui est quand même le comble du sadisme !
Les autres protagonistes sont tout à fait crédibles, et même excellents en ce qui concerne le sacristain de Matteo Peirone, habillé comme c’est devenu l’habitude en prêtre, ce qui montre que l’on a complètement oublié quelle était la fonction et le rôle d’un sacristain ! La mise en scène de Roberta Mattelli est à la fois simple et efficace, même si elle est souvent faible en termes de direction d’acteurs. Elle est très aidée par le splendide décor d’Alfredo Troisi, en fausse perspective de contre plongée vers une coupole fermée puis ouverte sur le ciel. L’autre bonne surprise vient de l’orchestre de l’opéra de Massy, à son meilleur, sous la baguette souvent inspirée et bien dans l’esprit de Dominique Rouits, malgré ses tendances à ne pas trop s’occuper de ce qui se passe sur scène, ce qui nous a valu quelques frayeurs, notamment au premier acte.