Revoir une production, dont nous avions dit les qualités et les faiblesses, à quelques mois d’écart, permet d’en approfondir les tenants et les aboutissants, surtout quand son metteur en scène a truffé la proposition de références, de parallèles et qu’on dispose d’une pierre de Rosette incomplète. Cette Tosca pasolinienne a été retravaillée et tout y est plus accentué qu’à Bruxelles. Cela renforce ses qualités : la scène SM qu’est le deuxième acte atteint des sommets malaisants – ce qui incitera un spectateur malappris à réclamer la tête de Rafael R. Villalobos juste avant le début de « Vissi d’arte », pas bravo monsieur – la direction d’acteur, bien plus acérée, porte bien davantage l’intrigue du livret que le parallèle fait avec la vie de Pasolini et ce qui entre en résonance avec le chef-d’œuvre de Puccini. Ainsi, Tosca qui apparait en chasuble religieuse à la fin du « Te Deum » et se retourne pour dévoiler une tête de mort, symbole de sa foi déjà perdue. Son manteau rouge d’apparat des actes suivant, proche de la bure des cardinaux, la transforme en une allégorie de déesse vengeresse, soutien de l’artiste opprimé. Car c’est l’autre angle que Rafael R. Villalobos rend plus lisible à Montpellier. La parenté entre Pasolini et Cavadarossi, tous deux artistes romains et persécutés par les institutions conservatrices de la capitale italienne et du monde catholique. Pour y parvenir, a été ajouté un monologue parlé avant la chanson de Portofino (voir le CR de Bruxelles), qui souligne la voix dérangeante de l’artiste. Cela éclaire tout autant que cela alourdit voire agace. D’autant que la torture de Cavaradossi par Scarpia s’opère pour des raisons bien moins politiques que pour exercer une pression sadique sur Tosca. Reste tout l’homoérotisme du spectacle (et on ne parle pas des corps nus qui trouvent tout leur sens au deuxième acte, n’en déplaise aux grincheux) qui se plaquent toujours étrangement sur Tosca et multiplient encore les références. C’est intelligent par exemple de reproduire une scène du film La mala educación pendant la scène du sacristain mais quelle cohérence cela peut bien trouver dans l’angle déjà radical choisi par le metteur en scène ? Si l’on ajoute le rideau du précipité avant le troisième acte représentant Judith et Holopherne (référence évidente) et les illustrations picturales très fortes de Santiago Ydáñez, on obtient toujours cette sensation de pot-pourri qui fait tourner la tête et qui amoindrit l’impact d’un spectacle qui veut trop en dire.
© Marc Ginot
En fosse, à l’inverse de la lecture nerveuse et gorgée de couleurs d’Alain Altinoglu à Bruxelles – à la tête d’un orchestre encore réduit pour raisons covidesques – la direction de Michael Schonwandt propose une lecture lente et lourde, assise sur un orchestre opulent, bien charpenté et jamais pris en défaut. Pourtant cette épaisseur n’obère en rien la conduite du drame. Au contraire, elle lui donne une temporalité poisseuse qui sied parfaitement à la mise en scène.
Mais elle place les chanteurs parfois en situation d’inconfort et encore plus quand les excellents chœurs – à Bruxelles, renvoyés dans une salle attenante et retransmis en salle toujours à cause de l’infernal virus – se voient placés dans les coursives du premier balcon du Corum. Le pauvre Marco Caria n’en peut mais. Il est le maillon faible du trio et pas uniquement parce qu’il n’a ni la puissance ni la projection de ses comparses, même en reconnaissant que le fantastique décor d’Emanuele Sinisi perd le son dans les cintres (ce qui ne se produisait pas à la Monnaie). Il frôle l’accident dès son irruption dans l’Eglise et n’atteindra tout simplement pas les aigus du rôle de manière répétée. C’est dommage car la ligne est racée, l’incarnation scénique et vocale proche de la cruauté sadique voulue par la mise en scène. Les seconds rôles sont tous excellents notamment l’excellent berger androgyne de Léopold Gilloots-Laforge, le Sacristain comique de Matteo Loi ou le Spoletta vil de Yoann Le Lan dont la puissance vocal et le timbre amer sont tout à fait idoines. Le duo amoureux trouve à Montpellier des chanteurs-acteurs plus bien investis. Amadi Lagha déborde de puissance et de souffle, ce qui lui permet d’assourdir les 1600 spectateurs du Corum de « Vittoria » tenus avec force et brillance au-delà du raisonnable. Mais il faut aussi saluer le beau phrasé déployé dès « Recondita armonia ». Toutefois on ne peut s’empêcher de remarquer que dans les scènes dialoguées son soutien et sa précision se désagrègent. Ewa Vesin enfin dispose de presque toute la palette des meilleures Tosca : un timbre chaud et opulent égal sur toute la tessiture, de la puissance à revendre et un tempérament scénique et vocal qui émeuvent tout de suite. Resteraient à parfaire quelques nuances et quelques effets techniques, ce qu’une gestion du souffle plus perfectionnée devrait permettre sans mal.