En 2009, on arrachait au public new-yorkais l’éternelle Tosca de Franco Zeffirelli pour la remplacer par la nouvelle production de Luc Bondy, immédiatement abhorrée par ce public conservateur. La version de David McVicar inaugurée en décembre 2017 vient rétablir l’ordre des choses. Déjà abondamment commentée lors des prises de rôles de Sonya Yoncheva et d’Anna Netrebko, cette mise en scène ne prétend pas réinventer l’œuvre mais entend plutôt offrir un écrin idéal aux chanteurs, des décors somptueux et une direction d’acteurs millimétrée. David McVicar réalise de magnifiques tableaux grâce à un travail abouti sur les couleurs, le clair-obscur et le rythme des ensembles. La procession religieuse dans l’église Sant’Andrea della Valle est sublimée par un halo surnaturel qui irradie depuis l’autel. Cet habile jeu de lumières devient le fil conducteur d’une approche qui laisse une place prépondérante aux chanteurs.
Sondra Radvanovsky effectue un retour triomphal au Met, cinq ans après sa dernière Tosca à New-York. Ses « Mario, Mario » hors-scène lui valent d’être applaudie avant même son entrée. La soprano américaine fend l’orchestre avec sa projection phénoménale doublée d’une technique à toute épreuve. Ses pianissimi filés dans « Vissi d’arte » et les graves qu’elle rugit contre Scarpia au II confirment qu’elle est une des meilleures spinto actuelles. Son parti-pris vocal peut cependant finir par agacer tant le vibrato est omniprésent et la ligne un peu ampoulée. Sa complicité avec Joseph Calleja est évidente. Ce dernier est un Cavaradossi vaillant qui concilie héroïsme et sensibilité. Si la technique n’est pas un problème pour le ténor maltais, cette voix tendue, au vibrato serré et au timbre métallique peine à rendre son personnage attachant. Malgré des pianissimi interminables et une maîtrise remarquable du diminuendo, l’ensemble manque d’éclat avec des aigus ternes comme dans « O dolci mani », trop rapide et sans subtilité.
Sondra Radvanovsky (Tosca) et Joseph Calleja (Cavaradossi) Acte III © Marty Sohl / Met Opera
Appelé à remplaçer Wolfgang Koch à la dernière minute, Željko Lučić peut compter sur son expérience pour assurer le Scarpia d’un soir. La voix n’est pas dénuée de mordant mais le baryton manque de puissance et finit rapidement englouti par le choeur lors du Te Deum. S’il module sa voix avec des piani délicieusement insidieux pour se faire galant, c’est théâtralement que Lučić s’impose en incarnant un Scarpia manipulateur à l’aura sinistre. Les rôles secondaires sont assez inégalement distribués. On peine à entendre l’Angelotti de Oren Gradus dont on devine pourtant le timbre de bronze. Patrick Carfizzi est un sacristain hilarant qui brille par sa projection remarquable. Déjà présents la saison dernière, Brenton Ryan et Christopher Job sont parfaits en funestes sbires. Enfin, le berger de Davida Dayle déçoit par son timbre nasillard et poussif.
Carlo Rizzi peut compter sur un choeur superbement préparé par Donald Palumbo. Le chef italien sait tirer parti de chaque variation et conduit souverainement l’orchestre du Metropolitan Opera. Il s’assure de ne jamais couvrir ses chanteurs, quitte à brider par moment la puissance de l’orchestre. Ces intentions sont louables mais finissent par saper l’intensité de certains passages qui auraient pu être encore plus saissisants comme le final du II, inapte à refléter la fébrilité d’une femme sur le point de commettre un crime.