Dans cette production romaine, la Tosca de Puccini continue d’épouser les émotions complexes et les funestes silhouettes avec une beauté aussi étonnante qu’arrogante…
Mais c’est d’abord pour le critique étranger un formidable exercice anthropologique à la façon d’une scène du Roma de Fellini. Car sur le plateau, c’est un vrai défilé de mode, à croire que tout le quartier du Parioli, le « Neuilly » romain s’est donné rendez-vous à l’opéra. On discute, on bavarde, on se toise… Un peu comme pour un match de la Roma face à la Lazio, on dirait que la ville s’arrête le temps d’une soirée. Quand le rideau se lève, le spectacle est autant sur scène que parmi le public. On chuchote, on s’exclame en reconnaissant tel ou tel lieu mythique de la capitale italienne, on chantonne aussi, tout en surveillant du coin de l’œil le portable et les résultats du calcio au point d’énerver les touristes mélomanes de passage. Mais on ne peut toutefois que se réjouir de voir ce spectacle, en sentant toutes les vibrations d’un public romain totalement acquis, quand on sait que le Teatro Costanzi risquait de fermer ses portes en 2014. Certes, l’essentiel n’est pas là, et c’est sur scène que le vrai spectacle s’est joué. Evidemment quand il s’agit de toucher à un monstre sacré, difficile de se montrer original dans la mise en scène.
Mais c’est là tout le charme de cette production d’Alessandro Talevi, en nous présentant des décors et costumes reconstitués à partir des croquis originaux d’Adolf Hohenstein pour la première représentation de la Tosca qui eut lieu à Rome le 14 janvier 1900. Le charme opère encore plus d’un siècle plus tard…
Le ténor Stefano La Colla est Mario Cavaradossi, le peintre amant de la cantatrice, Flora Tosca. La Colla, c’est tout ce qu’on espère du ténor italien dans la grande tradition. Un rôle taillé sur mesure, tant ce personnage est interprété avec sentiment, mais aussi virilité. La Colla a vécu, respiré et incarné Cavaradossi, chantant avec passion et enthousiasme. La Colla sait être un véritable soleil sur la scène, tant sa voix est ample et son souffle tient la longueur, il peut être sombre aussi aux moments les plus dramatiques avec une émotion jamais feinte. Quand culmine l’acte III, et son fameux « E lucevan le stelle », le ténor l’interprète avec une grande beauté, une de celle que l’on espère en allant voir le célèbre opéra de Puccini. C’est le cas ici, et le ténor s’en amuse au point de faire, sous les acclamations du public et à la demande du chef, le bisse immédiatement.
Quant à Tosca, on retrouve la jeune soprano napolitaine Anna Pirozzi. A nos confrères de La Repubblica, elle confiait que chanter Tosca à Rome était Le rêve de tout chanteur. Pirozzi a un timbre riche et coloré, et sa prestation aussi naturelle qu’impressionnante lui permet d’allier musicalité et puissance. Sa voix est chaude, vibrante, toujours dosée à bon escient. Dès l’acte I, son duo avec Cavaradossi est d’une sensualité poignante. Pendant la scène de torture, dans l’acte II, elle crie et sanglote avec une passion extrême. Quelques minutes plus tard, commençant doucement avant d’évoluer vers un éclat de douleur passionnée, son « Vissi d’arte » est d’une clarté impressionnante, comme si Pirozzi était emportée par le choc de ce qui arrive au moment d’assassiner Scarpia. Quant au troisième acte, lors du second duo avec Cavaradossi, tous les accents passionnés se mêlent au pressentiment dépressif de la mort. Tout l’acte apparaît alors comme un jeu de phrasé intelligent, rendant la douleur de la cantatrice vraiment crédible.
Le baryton Giovanni Meoni interprète enfin le terrible baron Scarpia. Sa voix se combine parfaitement à la férocité hypocrite du personnage. Avec un phrasé aussi féroce qu’inoubliable, Meoni sculpte les mots qui précèdent le Te Deum, et on sait déjà que le deuxième acte sera le sien, jouant l’ensemble avec l’impudence du tyran et la violence sinistre du maître chanteur comme au moment de ce passage d’une puissance extrême, « Già, mi dicon venal ».
Pour sa part, Donato Renzetti contribue à rendre cette Tosca aussi passionnante que populaire. Certes, il n’y a pas toujours une profonde attention dans la conduite, créant parfois un sentiment vague, une vibration fébrile et bavarde qui semble épouser celle du public, mais l’ensemble laisse surtout la première place à l’interprétation sur scène, comme si Renzetti cherchait à rendre toutes les nuances de cette partition impressionniste.