Faire redécouvrir les nuances d’une œuvre maintes fois entendue, en révéler toutes les facettes, le clair et l’obscur, le lisse et le rugueux, le consonant et le dissonant, voilà une gageure que David Reiland, dirigeant Tosca à la tête de l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, relève avec panache et avec une rare sensibilité ce soir à l’Opéra de Saint-Étienne.
C’est d’abord à cette direction inspirée et à l’adhésion parfaite des musiciens que le spectacle doit son succès. Mais aussi à l’étroite alliance qui s’établit entre cette lecture musicale et la mise en scène de Louis Désiré, sobre, glaçante, concentrée et jouant précisément sur ces transitions qui mènent insensiblement mais de manière inéluctable de la lumière à l’ombre, tout autant que sur les ellipses que ménagent et la partition et le livret. Les décors dans lesquels prédomine le contraste du rouge et du noir déploient parallèlement des camaïeux de brun et d’orangé, des dégradés de gris, et les lumières de Patrick Méeüs illustrent de manière appropriée l’intention exprimée par le metteur en scène de faire œuvre cinématographique. L’ombre s’étend sur la scène au rythme de l’obscurcissement des couleurs de l’orchestre, les mouvements silencieux des éléments du décor accompagnent les fluctuations harmoniques et les variations d’intensité de la musique. L’atomisation des lieux, les cadrages – gros plans sur la chapelle, sur le bureau de Scarpia, sur le balcon où, dans un retournement du topos romantique, se tiennent Scarpia et Tosca avant l’air « Vissi d’arte » –, qui n’avaient pas pleinement convaincu notre confrère Maurice Salles en mars dernier à Marseille, nous ont semblé ce soir particulièrement pertinents et efficaces.
Une telle perfection appelait celle des chanteurs, mais la Floria Tosca de Vanessa Le Charlès privilégie le jeu dramatique dans toute son exacerbation à la palette de nuances vocales que l’on attend de la diva. Un volume sonore souvent excessif gomme les subtilités de la partition, l’aigu confine au cri. On le regrette d’autant plus que le jeu scénique révèle une profonde intelligence du rôle, jusqu’à la fin du spectacle où la cantatrice qu’est Tosca franchit la limite du rideau avant de quitter la scène pour toujours.
À ses côtés, le jeune ténor Thomas Bettinger révèle en Mario Cavaradossi un timbre séduisant et chaleureux, assorti d’une belle diction qu’une projection plus affirmée dans l’acte I mettrait davantage en valeur. Plus sonore dans les actes suivants, il donne chair à son personnage, avec un « E lucevan le stelle » sensible, émouvant et techniquement très maîtrisé.
C’est un habitué du rôle qui incarne, avec brio – en dépit de la noirceur du personnage –, le sinistre baron Scarpia : Peter Sidhom, qui l’a chanté plus de 160 fois, comme nous l’indique la brochure, donne au personnage une autorité naturelle qui repose autant sur son jeu d’acteur parfaitement maîtrisé que sur sa plasticité vocale, passant presque sans transition de l’impétuosité du commandement à la douceur de la séduction. Le duo du deuxième acte révèle le talent polymorphe du baryton qui rend compte de la perversité du personnage et des figures du pouvoir.
Le Chœur lyrique Saint-Étienne Loire confirme sa grande qualité et les rôles secondaires sont de bonne facture, avec une mention spéciale à Christian Tréguier, en sacristain, et à la toute jeune interprète du berger au début de l’acte III.
De cette représentation stéphanoise de Tosca, on retiendra en premier lieu une direction musicale qui donne le sentiment d’entendre pour la première fois bien des passages de l’œuvre. Le travail qui aboutit à ce résultat est remarquable, et c’est une image forte que ces roses lancées à la fin par les musiciens de l’orchestre, depuis la fosse sur la scène où se tient David Reiland les invitant à se lever pour saluer.