Invité par Rossini, alors directeur du Théâtre des Italiens, à y donner un opéra, Mercadante proposa I Briganti, adapté de la célèbre pièce de Schiller. Bad Wildbad, met l’œuvre à son programme, sur les terres du Wurtemberg dont le souverain chassa jadis l’auteur des Brigands. La nouvelle édition de l’opéra réalisée pour le festival à partir du manuscrit met en lumière le talent polymorphe du musicien, bien sûr inspiré par Rossini mais qui lorgne aussi sur Donizetti et même Bellini. Peut-on reprocher à un homme venu renouer avec le succès à Paris d’en assembler les recettes ? Pourtant l’œuvre fut mal reçue. Méritait-elle cette sévérité ? Sans doute la structure dramatique n’est pas irréprochable et Mercadante reprend-il des formules musicales dont il n’est pas l’inventeur. Mais c’est bien son habileté qui les dose et les combine. Dans cette production conçue pour la servir, cette composition est pleinement valorisée.
Visuellement d’abord. Surintendant du festival depuis sa création Jochen Schönleber sait mieux que quiconque la valeur de l’argent. Pour une œuvre réclamant de nombreux changements de décor, l’imagination doit suppléer aux limites budgétaires. On ne montre pas, on suggère, et cela marche. Un plan incliné révèle la base biaisée du pouvoir usurpé, symbolisé par deux hauts sièges dont l’un restera vide ; la nappe blanche, la profusion de nourriture et de boissons et les nuques promptes à se courber disent le train de vie et la servilité qui accompagnent le tyran. A cour et à jardin, deux espaces suffisent à représenter l’un le dénuement où vit le révolté à l’image des autres victimes de l’injustice et l’autre le cachot détourné où croupit le vieux comte. Plus tard un lit précisera la menace pour Amelia. Une écharpe tachée de sang, quelques armes, et des projections vidéo qui situent la lutte dans la lignée de révolutionnaires sud-américains, de Zapata au Che, ou révèlent, comme autant d’images dérobées, la souffrance intime du proscrit au sommeil agité ( rejeté par son père à cause des calomnies de son frère, ignorant des sentiments de sa bien-aimée et dépendant toujours plus de compagnons de route pour le moins sujets à caution). C’est limpide, efficace et accompagne une direction d’acteurs qui, par exemple, donne à Amalia tarabustée par le tyran la force d’une véritable héroïne, traite la scène des retrouvailles entre le père libéré et le fils déshérité avec une sobriété qui la rend d’autant plus émouvante, ou fait de Teresa, la confidente et l’amie, une figure ambigüe peut-être sournoise et menteuse. Sous les lumières bien dosées de Kai Luczak les costumes conçus par Claudia Möbius pour les courtisans sont contemporains, même si la blondeur et la robe de satin blanc d’Amalia évoquent Louise Brooks. L’uniforme des guérilleros habille les exactions des voleurs d’un alibi ; leur chef est quant à lui quasi dépenaillé, et ce dénuement est nécessaire puisqu’il est désintéressé. Le vieux comte sorti de sa prison est vêtu comme un paysan, avant d’apparaître au château en grand uniforme. Le tyran, en costume de tailleur ou robe de chambre luxueuse ne se soucie visiblement pas de compter. Mais la satisfaction que donnent l’habileté et la pertinence de la réalisation visuelle se double de celle qui naît de la musique et du chant. Pleine, comme on l’a dit, de traits qui même inconnue la rendent quasi-familière, la partition séduit par sa variété mélodique et rythmique et son efficacité dramatique. Quant au chant, le Belcanto Opéra Festival – sous-titre de Rossini in Wildbad – ne prend-il pas des risques insensés, quand on se souvient que les créateurs furent rien moins que la Grisi, Rubini, Tamburini et Lablache ? Et c’estla divine surprise : n’était la faiblesse du petit ténor qui chante Rollero, le second d’Ermanno, et la couleur à notre goût un peu claire de la voix de Bruno Pratico, pour ce rôle d’homme au bout du rouleau – l’interprétation est néanmoins très convaincante, en particulier dans le duo père-fils – la distribution rassemblée affronte victorieusement les chausse-trapes de l’écriture vocale. Même la brève intervention de l’ermite permet d’apprécier le timbre du jeune baryton Atanas Mladenov. Petya Ivanova (Amalia) escalade sans broncher les sommets dont son rôle est hérissé : suraigus, sauts d’octave, trilles, sons filés, elle ne fléchit pas un instant ; avec une assise au centre et en bas suffisante pour échapper à la catégorie des rossignols mécaniques, et un engagement dramatique volontaire, cette interprète a tous les atouts d’une brillante carrière. Pour incarner les deux frères ennemis, un choix des plus heureux ! Vittorio Prato, baryton remarqué à mainte reprise, trouve en Corrado un rôle qui lui permet d’aller au-delà de ses prestations habituelles : d’une voix totalement libre il en exécute avec superbe les agilités mordantes et réussit à nuancer la personnalité tourmentée du méchant, une performance impressionnante. Maxim Mironov, enfin, complète le bonheur et le couronne : le ténorino s’est fait ténor et il monte à l’assaut avec une crânerie élégante et l’apparente facilité qui caractérise « le beau chant » ; devenue plus robuste, la voix est pleine sur toute son étendue, dans la plainte comme dans la colère, et comme les progrès de l’acteur accompagnent ceux du chanteur, sa prestation ébouriffante lui vaudra le plus juste des triomphes. Les forces permanentes du festival rassemblent les choristes de la Camerata Bach de Posen et les musiciens de l’ensemble Virtuosi Brunenses. Les premiers non seulement assurent leur partie mais jouent les courtisans ou les partisans avec conviction. Les seconds contrôlent leur son pour offrir aux solistes un soutien qui ne les contraint jamais à forcer, et la section des violoncelles vibre du chant voulu par Mercadante tandis que les cors ne détonnent pas. Antonino Fogliani indique avec précision les accents et modèle avec fermeté mais en souplesse cette musique qui vise à plaire. Sa direction, qui allie lyrisme et dynamisme, donne à la composition un influx nerveux et un éclat qui fait se demander pourquoi l’œuvre a disparu des scènes. Et puis l’on se souvient de sa difficulté vocale. Quel plus bel hommage rendre aux interprètes du jour que de dire qu’ils l’ont presque fait oublier ? Révérence à la direction artistique qui a su les rassembler ! |
|