Un duo d’amour qui dure près d’une heure, c’est très beau à écouter, mais c’est bien difficile à mettre en scène. Pour sa production de Tristan et Isolde, créée en 2015 et présentée pour la troisième année consécutive à Bayreuth, Katharina Wagner a trouvé une solution bien simple : et si l’on prenait tout simplement le contrepied du livret ? Dans ce deuxième acte, en l’absence du roi, dans l’espace de liberté que constituent les jardins du château, les amants échappent enfin aux regards des autres et peuvent vivre leur amour en tête-à-tête : ici, le roi fait jeter dans un vaste cachot non seulement Tristan et Isolde, mais également Kurwenal et Brangäne, sur lesquels sont braqués des projecteurs (les deux héros chercheront un moment à s’abriter sous un drap, comme des gamins pour lire en cachette). Dans ce décor étonnamment meublé d’arceaux métalliques, évoquant râteliers à bicyclettes ou porte-toasts géants, où Kurwenal passe un certain temps à se jeter contre les murs et à chercher une issue, les amants opteront pour la mort en se cisaillant les veines et en essayant de se pendre. Leur amour ne peut s’accomplir que dans la mort, certes, mais Wagner le dit de façon tellement plus subtile. Cette tentative de suicide déclenche l’irruption du roi, sorte de malfrat maniant le couteau à cran d’arrêt, dont il chargera Melot de donner un bon coup dans le dos de Tristan… Après un premier acte bien statique dans un décor encombré d’escaliers, le troisième opte pour un plateau nu et ténébreux où se multiplieront les apparitions d’une fausse Isolde insaisissable et toujours poursuivie par un Tristan apparemment en pleine forme. Tout cela est finalement assez laid et très oubliable, et l’on espère que le prochain metteur en scène de Tristan à Bayreuth sera plus inspiré.
© Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath
C’est d’autant plus dommage que, musicalement, le spectateur est plutôt gâté. Avant tout par la direction de Christian Thielemann qui, elle, ne change pas, et c’est heureux. Le chef allie raffinement et passion, avec des tempos plutôt vifs qui n’empêchent cependant pas de ciseler mille détails avec un soin admirable ou de mettre en valeur tel ou tel instrument. Sans posséder un timbre bouleversant, Stephen Gould offre un vrai Tristan, qui tranche agréablement sur tant de prétendus titulaires qui sonnent d’abord comme des barytons fatigués et s’économisent pour venir à bout du dernier acte. Rien de tel avec le ténor américain, qui semble disposer de réserves inépuisables lui permettant d’affronter le rôle dans son intégralité. Christa Mayer est, elle, une superbe Brangäne, à la voix chaude et au jeu nuancé, unie à sa maîtresse par une affection manifeste mais pas maternelle pour autant, compte tenu de la jeunesse de l’interprète.
Par rapport à la première présentation de ce Tristan, deux des quatre rôles principaux ont été renouvelés. Malgré son costume hideux, malgré les allures de dictateur de république bananière que lui impose la mise en scène, René Pape est un splendide roi Marke, qui fait regretter la brièveté des interventions de son personnage. Evelyn Herlitzius ne fut Isolde que la première année, et c’est Petra Lang qui lui a succédé : Isolde ogresse, d’une véhémence redoutable et à la voix torrentielle. De son passé de mezzo, Petra Lang a gardé une belle aisance dans le grave, et les aigus ne lui font pas peur, du moins dans la nuance forte : pour le piano, on sent bien qu’elle marche sur des œufs, même si elle parvient à canaliser cette énergie débordante pour le duo du deuxième acte. De manière générale, cependant, l’articulation n’est pas vraiment le point fort de la chanteuse.
Quoique très applaudi, le Kurwenal de Iain Paterson ne fait pas grande impression, et l’on détachera du reste de la distribution le joli berger de Tansel Akzeybek.