Rares sont les chanteurs dont les adieux à un rôle donnent lieu à des représentations spéciales. Faut-il que l’Isolde de Waltraud Meier ait été l’une des incarnations lyriques majeures de ces dernières années pour qu’un tel privilège vienne la couronner. Car il est inutile de le cacher, tout l’enjeu des deux représentations de Tristan und Isolde programmées au Festival de Munich est là : voir et entendre Waltraud Meier endosser une dernière fois un costume qu’elle porte régulièrement depuis 22 ans. Un costume qui n’a cessé d’évoluer au gré des productions et des expériences. Dans la mise en scène souvent intense, fine mais aussi systématique et prosaïque de Peter Konwitschny, Waltraud Meier conserve l’hiératisme noble dessiné par Peter Sellars à l’Opéra Bastille (10 ans, déjà…). Au cœur d’une esthétique qui use, avec des bonheurs divers, de la dialectique du théâtre dans le théâtre, elle se rappelle la femme de chair et de sang, totalement vraie et éperdument amoureuse imaginée avec Patrice Chéreau à la Scala, montrant ainsi combien son interprétation a mûri au fil des ans. La voix aussi a mûri, pour ne pas dire plus… Dans la belle acoustique de l’Opéra de Munich, Waltraud Meier passe sans encombre la fosse d’orchestre mais doit composer avec un aigu désormais difficile – des deux contre-uts qui suivent ses retrouvailles avec Tristan, elle esquive le premier et tente, courageusement mais vainement, le deuxième. Est-ce être aveuglé que de ne pas prêter attention à ces scories ? Ce serait folie de s’y arrêter, quand le phrasé, d’une maîtrise époustouflante, impose toujours et dès les premières mesures un personnage magnétique, quand l’intime compréhension du texte sourd de chaque réplique avec l’éclat de la vérité, quand les lignes apaisées de « O sink hernieder, Nacht der Liebe » offrent encore des instants suspendus. La Liebestod, éperdue et dévorante, où Meier risque tout et triomphe de tout, les trente minutes d’intenses ovations qui suivent, tout cela dit bien, au final, que cette soirée n’était décidément pas comme les autres.
Pour cette soirée pas comme les autres, il fallait un entourage à l’avenant : c’est presque toujours le cas. Belle voix, pas toujours audible dans les tréfonds de son agonie, Robert Dean Smith impose un Tristan qui n’a jamais la faiblesse de céder à la vocifération et aux débordements histrioniques quand le chant devient trop difficile. Le chant, Rene Pape en donne une fois de plus une magistrale leçon, avec ce Roi Marke qui sait, tout en restant somptueux, montrer des blessures déchirantes. De même, si le Kurwenal solide comme un roc d’Alan Held a bien les accents un peu rudes attendus au I, il ne lui manque rien de l’humanité qui, au III, donne toute sa dimension au personnage. Des principaux protagonistes, il n’y a finalement que Michelle Breedt, Brangäne sincère dans son engagement mais un peu matrone pour les appels du II, qui ne suscite pas pleinement l’adhésion.
Et puis l’oreille est forcément clémente pour des chanteurs que n’épargne pas la direction de Philippe Jordan. Très applaudi, à la tête d’un orchestre riche en couleurs mais parfois imprécis (faute de temps, les répétitions ont, paraît-il, été expédiées), le chef choisit un rythme (lent) et un volume (fort) qui ne sont pas pour aider les voix à passer la rampe. Mais on finit par l’oublier : 150 ans après la création, in loco, de Tristan, c’était surtout Isolde que nous étions venus écouter…