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WAGNER, Tristan und Isolde — Toulouse

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Spectacle
28 février 2023
L’ivresse des sommets

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes

Musique de RIchard Wagner

Livret du compositeur

Création le 10 juin 1865 au Théâtre National de Munich

Détails

Mise en scène

Nicolas Joël

Décors et costumes

Andreas Reinhardt

Lumières

Vinicio Cheli

Isolde

Sophie Koch

Tristan

Nikolai Schukoff

Marke

Matthias Goerne

Brangäne

Anaïk Morel

Kurwenal

Pierre-Yves Pruvot

Melot

Damien Gastl

Le matelot / Le berger

Valentin Thill

Le pilote

Matthieu Toulouse

Chœur de l’Opéra national du Capitole

Chef du Chœur

Gabriel Bourgoin

Orchestre national du Capitole

Direction musicale

Frank Beermann

Toulouse, théâtre du Capitole

Dimanche 26 février, 15h

Prochaines représentations :

1er et 7 mars, 18h

4 mars, 15h

C’est un pari un peu fou que tente Christophe Ghristi à Toulouse, pour cette reprise de la production de 2015  du Tristan und Isolde signée Nicolas Joël. Fou puisqu’il s’agit de confier une prise de rôle aux cinq protagonistes principaux, rien moins que cela.

Or Tristan est en soi une mécanique hors norme, une œuvre paroxystique quatre heures de musique durant, une performance au sens quasi athlétique du terme. Pour les deux rôles-titres, pour l’orchestre, pour le metteur en scène (on appréciera l’ironie de Wagner qui nomme « Handlung » soit « action » un opéra qui en est totalement dépourvu !) et, accessoirement pour le spectateur ; alors aligner les cinq planètes au premier jet (nous assistons à la première ce dimanche) relève de l’improbable, pour ne pas dire du miracle. C’est un peu à cela que nous avons assisté.

Il y a beaucoup de choses remarquables à voir et à entendre dans cette production, à commencer par la proposition du regretté Nicolas Joël. Sans doute parce qu’elle est épurée, intemporelle, la mise en scène n’a pas pris une ride. Une scène composée d’un base flottante en forme de triangle s’avançant vers le public. Elle figure au I la proue du navire voguant vers la Cornouailles. Les accessoires sont réduits au strict minimum : un coffret contenant les philtres, des épées, une torche. Andreas Reinhardt signe des costumes simples et de belle facture. Tristan est tout de noir vêtu, sauf au III où la chemise blanche est maculée de sang. Isolde est en blanc, sauf au III où la robe est rouge. Tout cela est éloquent sans qu’il soit nécessaire d’expliciter. Les lumières de Vinicio Cheli accompagnent remarquablement le récit et particulièrement, à la fin du I, quand les deux héros boivent le philtre.

L’idée de ce Tristan-ci est née ici même en 2019, à l’issue de la série de représentations très réussies de Parsifal. Frank Beermann dirigeait déjà à l’époque Nikolai Schukoff dans le rôle-titre et Sophie Koch qui prenait le rôle de Kundry. De Parsifal à Tristan, il restait un – grand – pas à franchir et le dénominateur commun ne pouvait être que le chef allemand. C’est donc autour de lui que la distribution s’est montée, étant entendu que les deux protagonistes du Parsifal seraient de la partie pour Tristan.

Nous retrouvons donc Frank Beermann à la tête d’un orchestre national du Capitole lumineux. La balance est posée d’emblée en faveur des vents ; c’est un parti pris audacieux qui permet deux choses : la mise en avant des pupitres de bois (le cor anglais au III est de toute beauté, le hautbois d’un bout à l’autre raffiné), mais aussi une sorte de relégation au second plan des cordes. Ne nous méprenons pas toutefois ; un orchestre wagnérien, qui plus est dans Tristan, ce sont d’abord les quatre pupitres de cordes, sans lesquels le feu ne prendrait pas dans l’orchestre, sans lesquels point de tempête, de houle et d’ivresse, point de duo d’amour ni de Liebestod. C’est vrai et pourtant Beermann sait mettre sous le boisseau le feu de l’orchestre quand il s’agit de privilégier la scène, quand il s’agit d’aider les amants à transcrire de la façon la plus audible et la plus intelligible possible l’ardeur de leur passion. C’est bien grâce à cette direction d’orchestre d’une telle intelligence qu’aucune voix sur scène n’a à forcer à l’excès pour franchir la rampe. Le prélude du I, qui tarde à se lancer après deux sonneries inopportunes de téléphone portable dans la salle, annonce la couleur. Le tempo est ralenti, extrêmement. Chaque note, accord, se détache, devient perceptible et prend sens. On aimerait que la marée orchestrale ne cesse pas et nous engloutisse nous aussi. Les ovations pour l’orchestre au complet sur la scène au baisser de rideau, exceptionnels à Toulouse, ne sont que méritées.

Sophie Koch nous disait peu avant la première que le rôle d’Isolde, pour elle, s’apparentait à un Everest. Alors disons qu’elle connaît maintenant l’ivresse des sommets. Beaucoup de choses forcent l’admiration du reste chez Sophie Koch, la moindre n’est pas la conduite de sa carrière. Si elle aborde aujourd’hui ce rôle (alors qu’on le lui a proposé il y a déjà quelques années), c’est qu’elle estime les conditions réunies. Elle ne l’aurait pas fait dans une salle trop vaste, elle ne l’aurait pas fait avec un chef inconnu, elle ne l’aurait pas fait non plus avec n’importe quel partenaire. Elle a attendu donc que ces trois conditions soient réunies, comme des garde-fous, des gages donnés et dont elle avait impérieusement besoin pour aborder l’aventure le plus sereinement possible.


© Mirco Magliocca

Que faut-il admirer le plus dans cette prestation ? La gestion des moyens du début à la fin ? Elle ne se lance pas à corps perdu dans l’ariette qui ouvre le I, elle retient le fortissimo, n’élude pour autant aucune des quatre notes diaboliques (deux contre-ut et deux si naturels) parsemées dans les deux premiers actes. Même dans le « Mild und leise » entamé par deux notes presque blanches, elle gère son effort pour finir sans fléchir et réussir à incarner l’ultime émotion dans « In dem wogenden Schwall, in dem tönenden Schall », avant bien sûr une « höchste Lust » qui restera en mémoire .

La charge émotionnelle omniprésente ? Confier le rôle d’Isolde à une mezzo aigue, comme l’est aujourd’hui Sophie Koch, c’est se donner plus de chances de nourrir les graves, d’habiter les médiums grâce à des harmoniques riches, de ne jamais être à court de variations, particulièrement dans la longue partie du I et dans le duo d’amour.

L’endurance ? A aucun moment Sophie Koch ne nous a semblé en réelle difficulté. Tout cela tient encore d’une parfaite économie dans l’engagement tout au long des trois actes.

La présence ? Le port, superbe, orgueilleux, impénétrable (Sophie Koch est tout sauf une Isolde lascive), à la gestuelle millimétrée, hiératique, sublimée par une conduite d’acteurs on ne peut plus respectueuse et du texte (jusque dans ses didascalies) et du tempérament des protagonistes.

Le monde lyrique a de toute évidence gagné en Sophie Koch une nouvelle Isolde, qui a désormais toute sa place sur le circuit dans ce rôle.

Nikolai Schukoff est le Tristan parfait pour elle, elle l’a pour ainsi dire choisi. Tous deux font montre d’une complicité qui date, nous le disions, de leur Parsifal de 2019. Avec Tristan et son troisième acte horrifique, Schukoff s’attaque à un autre Everest. Il réussit lui aussi l’ascension, non sans difficulté, on le conçoit aisément. Mais quelle vaillance, quelle générosité dans l’effort ; nul obstacle ne semble pouvoir l’arrêter. Se sent-il trébucher ou fléchir ? Il repart de plus belle. La technique est absolument irréprochable ; il nous semble seulement que le timbre de Schukoff ne recèle pas suffisamment la noirceur, ou tout au moins, le mystère et la complexité du personnage de Tristan.

Matthias Goerne aborde la longue scène du roi Marke comme il aborderait un cycle de lieder.  Cela vaut compliment, car la musicalité est omniprésente et les différentes facettes du monologue du II admirablement rendues : la stupeur, l’effroi, la peine, l’affliction et puis, au III, le pardon. Le Liedersänger n’est jamais très loin avec une voix qui vous atteint en plein cœur et vous fige sur place.

Autre prise de rôle amplement réussie : la Brangäne d’Anaïk Morel. Passés les premiers moments d’entrée, elle s’empare du rôle et lui donne toute la texture nécessaire. Le duo au I avec Isolde révèle une force et un tempérament peu communs, qui, par sa solidité, confèrent à Brangäne une dimension nécessaire à l’équilibre des forces en présence. La voix est puissante quand il le faut, sans jamais forcer outre mesure et le timbre d’une rare délicatesse.


© Mirco Magliocca

Kurwenal est tenu par Pierre-Yves Pruvot. Au début du I, la voix est habitée d’un vibrato un peu large. Tout rentre dans l’ordre par la suite et nous est présenté un Kurwenal aussi fidèle que téméraire.

Melot enfin est Damien Gastl qui complète remarquablement un plateau vocal que nombre de salles, françaises et étrangères, aimeraient sans doute pouvoir réunir.

Après Parsifal et maintenant Tristan, si réussis, pourquoi ne pas tenter un autre grand Wagner en bord de Garonne. Walküre ? Siegfried ?

 

 

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Création le 10 juin 1865 au Théâtre National de Munich

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Nicolas Joël

Décors et costumes

Andreas Reinhardt

Lumières

Vinicio Cheli

Isolde

Sophie Koch

Tristan

Nikolai Schukoff

Marke

Matthias Goerne

Brangäne

Anaïk Morel

Kurwenal

Pierre-Yves Pruvot

Melot

Damien Gastl

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Valentin Thill

Le pilote

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Gabriel Bourgoin

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4 mars, 15h

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