Dans le joli décor de colonnades orientales et de moucharabiehs imaginé par Rifail Ajdarpasic, mariant le bleu et le violet, L’Italiana in Algeri à l’Opéra d’Avignon apparaît dans sa dimension, référentielle et parodique à la fois, d’Enlèvement au Sérail mâtiné de Fidelio, tout en lorgnant vers la ligne claire des aventures de Tintin, costumes de soldats coloniaux compris. Une tournette permet de révéler de manière continue les divers espaces de l’action qui apparaissent comme l’envers des scènes précédentes. Aux clichés habilement revisités du harem et du hammam succèdent des lieux inattendus, comme ce cabinet de travail du Bey, orné de trophées de chasse allant du requin au lion en passant par la girafe, ou la cuisine devenue la prison de Lindoro, condamné à œuvrer aux fourneaux sous la surveillance féroce de deux gardiens-bourreaux.
Parfaite réussite visuelle, ce spectacle repose l’œil et laisse l’oreille et l’esprit libres d’apprécier l’ironie et la satire du librettiste et du compositeur, grâce à la mise en scène de Nicola Berloffa assumant un premier degré qui rend justice au genre de l’opéra bouffe, où la musique constitue le principal second degré de lecture. L’Orchestre Régional Avignon-Provence se prête admirablement au jeu, sous la direction nuancée de Roberto Brizzi-Brignoli qui, loin de sacrifier les subtilités de la partition à la vitesse et au brio, donne au contraire à entendre la palette des timbres et la diversité des coloris. On soulignera notamment la délicatesse et la précision du dialogue entre le piccolo et le hautbois dans l’ouverture, mais aussi l’éblouissante maîtrise du finale du premier acte, que l’on pourrait, comme Stendhal parlant de l’écriture musicale de cet opéra, qualifier de « folie organisée ».
Isabella, l’Italienne, est interprétée par une Espagnole talentueuse, le mezzo-soprano Silvia Tro Santafe qui subjugue ici, comme il se doit, le Bey Mustafa autant que son amant Lindor et que son sigisbée Taddeo, mais aussi le public avignonnais de ce dimanche après-midi. L’autorité de sa voix puissante et séduisante, passant avec aisance du legato à l’agilité, s’allient à une présence scénique éclatante. À ses côtés, le jeune ténor français Julien Dran capte immédiatement l’attention par son timbre clair et l’émission parfaite des notes aiguës. Il fait la preuve de sa résistance physique mise à dure épreuve, d’emblée, par la cavatine « Languir per una bella », et l’on peut gager que la voix gagnera encore en assurance et en intensité. Malgré quelques flottements au début du premier acte, Donato Di Stefano compose un Mustafa crédible, bien chantant et capable d’une vraie transformation au cours de l’opéra, depuis la bouffonnerie encore solennelle du début (« Delle donne l’arroganza ») jusqu’au grotesque du Pappatacci. Le baryton italien Giulio Mastrototaro donne à Haly beaucoup de dignité et une projection impeccable, mettant la qualité de son timbre et la souplesse de sa voix au service d’une interprétation qui rehausse la présence de ce personnage en soi secondaire. À l’inverse, Armando Noguera semble tellement se distancier du personnage de Taddeo qu’il n’en livre qu’une manière de caricature, en dépit du lyrisme de son chant, allant parfois jusqu’à la désinvolture, par exemple dans l’aria « Ho un gran peso sulla testa », là où la loi rossinienne du contraste exige une certaine gravité de l’interprète. En dépit de la brièveté de son rôle, Clémence Tilquin émeut dans sa composition très juste du personnage d’Elvira, et Amaya Dominguez est une Zulma de grande classe.
Les Chœurs de l’Opéra Grand Avignon contribuent pour une large part au succès de l’entreprise, grâce à un engagement physique sans faille, un sens collectif du jeu comique et une précision remarquable dans les ensembles vocaux.