Une Angelina qui pèche par excès de modestie, un spectacle qui abuse de drôleries : deux contresens préjudiciables à la reprise de cette Cenerentola, déjà présentée au Théâtre des Champs Elysées en 2003.
Bonté et humilité, tel semble pourtant être le sens d’une l’histoire sous-titrée La bontà in trionfo. Sur scène, Cendrillon mise en musique par Rossini s’avère autrement complexe. De l’angélisme assurément mais aussi de la passion et un certain mystère avec, pour principal terrain d’expression, une chansonnette (« Una volta, c’era un re ») et un air hérissé de difficultés qui arrive à la fin de l’opéra (« Nacqui all’affano »). Trop tard pour composer un personnage. A défaut, l’interprète d’Angelina dispose de multiples ensembles pour exposer les facettes de son tempérament. C’est là où Vivica Genaux nous laisse sur notre faim, le timbre mat et la moindre puissance de sa voix la plaçant en retrait face à des partenaires particulièrement sonores. A cette relative discrétion vocale, s’ajoute une technique personnelle, un débit torrentueux qui ne laisse pas aux notes le temps de prendre leur signification et leur couleur. Ainsi « Nacqui al affano », bouquet final d’une partition éblouissante, passe à toute vitesse sans impressionner, malgré la virtuosité et l’étendue de la tessiture. Il faut dire que la mise en scène d’Irina Brook ajoute à ce moment un balancement de pied des choristes, amusant évidemment, mais qui détourne le regard et l’oreille de celle qui devrait être l’objet de toutes les attentions. Reproche que l’on peut formuler plusieurs fois à l’encontre d’une production qui ne souffre d’aucune perte de vitesse et enchaîne avec humour toutes les scènes sans laisser au spectateur le temps de souffler. Oui mais voilà La Cenerentola n’est pas qu’une joyeuse comédie. Si l’opéra est qualifié de dramma giocoso, c’est qu’il contient sa part d’ambivalence. Des sourires, du rire mais pas uniquement. Les gags fonctionnent, la transposition de l’histoire dans les années 50 entre Little Italy (le bistro de Don Magnifico) et Manhattan (l’appartement design de Don Ramiro) est bien trouvée, la chorégraphie déjantée de Cécile Bon en phase avec la partition mais l’abondance d’idées nuit à l’ensemble, comme si Irina Brook n’était pas parvenue à brider son incroyable créativité. Puis, ce qui était inédit en 2003 est devenu aujourd’hui la règle. L’utilisation de la vidéo et la musique de Rossini comme prétexte à déhanchements ne font plus le même effet. On comprend alors pourquoi on n’est moins emballé qu’on ne l’avait été sept ans auparavant.
Reste une équipe qui joue le jeu à fond et qui, mis à part le Dandini engagé mais peu orthodoxe de Stéphane Degout, remplit l’ensemble du contrat. Ainsi l’Alidoro facétieux d’Ildebrando d’Arcangelo qui, par l’accent et la colorature, fait valoir ses affinités avec le répertoire rossinien. A l’écoute de son « Là del ciel nell’ arcano profondo », on se prend à rêver au Selim (Il Turco in Italia) qu’il vient de présenter à Londres mais aussi à Mustafa (L’Italienne à Alger) et à Lord Sydney (Il viaggio a Reims) auxquels il pourrait prêter sa fantaisie, son velours et sa virtuosité. Sans parler des rôles seria qui n’attendent qu’un interprète de cette étoffe pour rayonner : Maometto II, Duglas (La Donna del lago), etc. Ainsi, le prince d’Antonino Sirugasa, d’une santé vocale à toute épreuve, capable de passages en force mais aussi de demi-teintes délicates dans l’Andantino de « si, ritrovarla io giuro ». Don Ramiro cabotin, au risque de mettre en péril ses aigus, mais d’une efficacité redoutable avec cette émission verticale, cette projection en uppercut qui n’empêche pas la souplesse dans la vocalise. Le paradoxe, une fois admis, fait partie du charme du ténor sicilien. Ainsi Pietro Spagnoli, lui aussi dans une forme éblouissante et lui aussi d’une présence réjouissante, qui révèle comme jamais la multiplicité de ses talents. A la maîtrise du chant syllabique rapide, le baryton ajoute en effet un beau métal dont il sait varier les reflets, une vis comica qu’il exhibe à loisir, notamment lors du tomber de rideau avant le tableau final, et même des dons pour la photographie si l’on en juge par les portraits de chanteurs qu’il a réalisés et qui sont présentés au public du Théâtre des Champs-Elysées jusqu’au 2 mars 2010 (l’exposition s’intitule Facce da teatro).
Une Tisbe (Nidia Palacios) et une Clorinda (Carla Di Censo) qui occupent avec brio tout l’espace que leur réservent le livret et la mise en scène ; des chœurs volontaires et la direction contrastée de Michael Güttler, en phase avec les pulsations de la partition : trois raisons supplémentaires pour déplorer qu’un Concerto Köln méconnaissable nous serve à plusieurs reprises une volée de bois verts en lieu et place des blandices orchestrales mitonnées par Rossini.