Le Théâtre des Champs-Elysées, en partenariat avec Les Grandes Voix, est la dernière salle parisienne où les amateurs de grandes voix peuvent succomber à leurs détestables penchants. D’autant que, depuis quelques saisons, la vénérable institution a renouvelé le genre du récital lyrique en multipliant les concerts en duo : Florez et Villazon, Kirschlager et Keenlyside, Florez et Barcellona … Autant de spectacles qui ont fait l’événement, même si les satisfactions musicales ne sont pas toujours à la hauteur de ce qu’on pourrait souhaiter.
Témoin ce nouveau crû, où le meilleur côtoie le moins bon, mais où le plaisir de l’inédit l’emporte néanmoins, d’autant que les apparitions parisiennes de Bryn Terfel restent rares (voire ses apparitions tout court, d’ailleurs).
A tout seigneur tout honneur, donc, d’autant que le programme permet presque d’apprécier toute la versatilité de l’artiste (il n’y manque que la facette « comique »). Son « Credo » de Iago est d’une noirceur sans caricature, d’une puissance et d’une conduite de souffle exceptionnelle. La « Romance à l’étoile » est remarquable de poésie, de diction, la voix de stentor sachant devenir caressante dans des piani mixtes d’une intense expressivité. Son Rodrigo nous démontre la capacité du chanteur à se plier aux exigences stylistiques du pur « baryton Verdi » et à camper un personnage et une ambiance en quelques phrases de récitatif. Certes, on pourra regretter un timbre manquant de séduction, en particulier dans le répertoire italien. Mais quelle puissance dramatique ! Voilà un chanteur qui, n’ayant abordé aucun de ces rôles à la scène, en possède déjà une intelligence intime qu’on chercherait en vain chez certains confrères après 20 ans de fréquentation.
La seconde partie permet à Terfel de proposer sa vision de Méphisto au public parisien, une interprétation un peu histrionique, mais plus sobre que lors de sa prise de rôle londonienne. Il faut dire que les pitreries de Villazon, sur lesquelles nous reviendrons , ne poussent pas à l’intériorisation.
Dans le rôle plus hédoniste de Zurga, Terfel a sans doute davantage de mal à séduire, mais dans ces deux opéras français, on appréciera une diction et un phrasé exemplaires. Après une telle démonstration, on ne peut que regretter que ce chanteur ne soit pas plus présent sur la scène lyrique parisienne.
On connait les déboires vocaux récents de Rolando Villazon ; et on aimerait certes ne plus en parler si toutes traces en avaient disparu. Au positif, l’artiste apparait notablement en meilleure forme que lors de ces précédentes apparitions, la voix ayant retrouvé une certaine assise et une meilleure projection. Mais les tensions dans le haut medium persistent : le ténor coupera d’ailleurs prudemment quelques phrases comportant des aigus « à risque », sans pour autant éviter de détoner à plusieurs reprises. Plus grave, le chanteur semble avoir impérativement besoin du soutien de l’orchestre pour chanter juste, comme s’il cherchait « à tâtons » la bonne tonalité. De la première partie, on retiendra néanmoins un air de Lenski, musicalement bien en place, sobrement émouvant. En seconde partie hélas, les choses se gâtent. Après avoir expliqué que les concerts demandaient beaucoup à l’imagination des spectateurs, Villazon revient pour le duo de Faust, canne en main, affublé d’une fausse barbe blanche et d’une perruque (« ce qui restait de Noël » explique-t-il). « Rajeuni », il sautera dans la salle pour embrasser les mains d’une spectatrice des premiers rangs ; voilà qui suffit à se mettre le public dans la poche, mais qui n’aide pas à chanter plus juste. Privé d’aigu, le Polyeucte est néanmoins d’un autre niveau, le chanteur ayant amélioré sa diction française ; mais c’est surtout avec le répertoire de la Zarzuela que le ténor mexicain retrouve de ses couleurs, avec un « Non puede ser » qui fait délirer la salle à juste titre.
Enfin, Terfel se joint à Villazon pour le dernier bis, interprétant la majorité du « Granada », Rolando se réservant essentiellement pour un aigu final.
Le rôle d’accompagnateur est toujours ingrat dans ce type de concert, mais la Philarmonique de Prague sans tire très honorablement, sous la baguette de Gareth Jones.
Au global, malgré quelques belles réserves, une soirée enthousiasmante comme seul en propose les Grandes Voix.